Signorelli réhabilité

L'ŒIL

Le 1 novembre 1998 - 380 mots

Gageons que le Dr Tom Henry, chercheur et professeur à l’Institut Courtauld, poursuivait un triple objectif en organisant une exposition sur Luca Signorelli.

Il s’agissait tout d’abord de présenter au public des œuvres récemment « nettoyées », allégées du voile opaque et jauni des anciens vernis et révélant la fraîcheur de leurs coloris originaux. Avec, au chapitre des surprises réservées par ces délicates interventions, cette Nativité de 1496, miraculeusement gratifiée d’un ange, apparu aux côtés d’un premier acolyte après suppression d’anciens repeints. Il importait ensuite d’offrir au regard des curieux trois œuvres inédites de l’artiste – deux Vierge à l’Enfant et un buste de Vierge des années 1510 – découvertes inopinément en mai dernier par Tom Henry au cours de ses pérégrinations scientifiques. Enfin, et surtout, l’enjeu était de rétablir la place de Luca Signorelli dans la peinture italienne de la fin du XVe siècle. L’œuvre de ce dernier a en effet souffert d’une mauvaise fortune critique ces dernières années, l’exposition de 1953  – la dernière en date – ainsi que la monographie dédiée à l’artiste en 1964 par Pietro Scarpellini ayant largement contribué à vouer Signorelli aux gémonies des « défaiseurs » de réputation. On conviendra, certes, que la production de l’artiste est parfois victime d’une singulière baisse de qualité. Ses œuvres de vieillesse, en particulier, témoignent d’une régression stylistique, où s’enhardissent les maladresses : alourdissement des formes, insistance exagérée dans l’analyse anatomique, audace de conception à l’origine d’une exécution embarrassée. C’est aussi surestimer son influence que de voir en Signorelli le précurseur direct de Michel Ange – comme l’avait affirmé en son temps Vasari, qu’une lointaine parenté avec l’artiste n’inclinait pas à l’objectivité. On peut toutefois lui reconnaître l’invention d’accents novateurs qui anticipèrent les solutions du premier Cinquecento. Dans la Circoncision (1490), on sent combien l’artiste reprend les conceptions solennelles de son maître Piero della Francesca, pour mieux les traduire à travers un théâtralisme animé ; en témoignent ses protagonistes emphatiques, aux gestes déclamatoires et aux attitudes extraordinairement vivantes. Formant l’arrière-garde de cette œuvre magistrale, la trentaine de peintures et dessins appartenant aux collections britanniques rend compte de la rare qualité picturale et de la grande subtilité expressive de ce peintre hors du commun, « ingegno e pelegrino » – inventif et excentique – selon les propres termes de Giovanni Santi, le père de Raphaël.

LONDRES, National Gallery, 11 novembre-31 janvier.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°501 du 1 novembre 1998, avec le titre suivant : Signorelli réhabilité

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