Schütte, la solitude mise en scène

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 410 mots

Il est des déménagements plus difficiles. Celui que vient de faire Philip Nelson (cf. L’Œil n° 564) ne l’a contraint qu’à traverser la rue : du 40, il est passé au 59 de la rue Quincampoix où il était installé depuis onze ans. Répartis sur deux niveaux, les 200 m2 de ses nouveaux locaux se composent au rez-de-chaussée d’un très bel espace sous verrière permettant une lumière pleinement naturelle et à l’étage d’une salle à l’usage parfaitement complémentaire. Le choix qu’a fait Nelson d’inaugurer sa nouvelle galerie avec des maquettes d’architectures et deux sculptures inédites de nus féminins de Thomas Schütte, figure majeure de la scène allemande, n’est pas innocent de sa volonté d’affirmer sa vocation internationale. Dès la création de sa galerie à Villeurbanne, en 1982, il en avait été ainsi. Philip Nelson n’en a jamais pour autant négligé la scène française, toujours soucieux d’équilibre, de rigueur et de qualité. Élève de Gerhard Richter à l’académie de Düsseldorf, Thomas Schütte appartient à la génération des années 1980. D’emblée, son art témoigna d’un intérêt patent pour le théâtre comme pour l’architecture. La série de maquettes qu’il réalise alors est une façon pour lui d’accuser une certaine idée de la solitude, qui ne tarde pas à s’imposer comme le thème récurrent de son œuvre. Sinon de l’être solitaire du moins d’un monde de l’homme renfermé sur lui-même. Proches d’une manière quasi constructiviste, ses maquettes, qui sont très épurées, en appellent à un vocabulaire de formes géométriques élémentaires et à un panel de couleurs primaires. Les posant tout simplement sur une table, il en offre une lecture directe et sans ambages : ce ne sont rien d’autres que de petits théâtres du monde, d’autant qu’elles sont explicitement articulées en rapport à l’actualité. Ainsi des Maisons de vacances pour terroristes ou de la Tour des parleurs, référence implicite tant aux Twin Towers qu’au malaise d’un monde en mal de communication. À l’inverse de celles d’un architecte, les maquettes de Schütte ne sont pas de potentiels projets mais des abstractions mentales de situations existantes. Quant aux sculptures de femmes, elles sont une façon d’interroger la tradition artistique du nu féminin tout en s’éloignant considérablement des canons convenus. Leur aspect torturé, voire mutilé, ne procède pas d’un quelconque expressionnisme abâtardi mais bien plutôt d’une difficulté d’être et de communiquer qui parcourt fondamentalement toute l’œuvre de l’artiste.

« Thomas Schütte », PARIS, galerie Nelson, 59 rue Quincampoix, IIIe, tél. 01 42 71 74 56, 23 octobre-23 décembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : Schütte, la solitude mise en scène

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