« La théâtralité est une dimension essentielle de l’histoire de la photographie », rappelle Michel Poivert dans sa Brève Histoire de la photographie.
Alex Majoli l’a faite sienne depuis son premier projet, Leros, sur la fermeture d’un asile d’aliénés, réalisé en 1994 en Grèce. Aujourd’hui, l’exposition « Scène » est certainement le projet où le photographe de Magnum va le plus loin dans la traduction de cette dimension. Par un jeu d’éclairages et de flashs, le jour devient nuit sur la pellicule, et l’être, solitaire ou en groupe, la quintessence d’une situation. L’actualité est le terreau de ce travail entamé depuis 2007 et découpé au Bal par pays (Congo et Brésil) et continents (Asie et Europe). Guerres, printemps arabes, camps de réfugiés, montée des nationalistes, attentats du 13 novembre à Paris forment le décor et le plateau. Aucune mise en scène ne préfigure l’image, le geste, l’attitude des corps, l’expression des visages ou le déplacement. Seuls le mode opératoire sur le terrain au milieu ou face aux gens, le traitement du tirage qu’il en fait ensuite et le choix du grand format sans vitre fixent un état et un instant précis de la dramaturgie. Alex Majoli est un familier de Giotto, de Pirandello et de l’avant-garde théâtrale italienne autant que des conflits et arrière-cours de ce monde. Le cocktail qu’il en fait ne laisse pas indifférent. La théâtralité affirmée et revendiquée fait basculer le réel dans un réalisme suspendu entre deux temps confondant d’intériorités et de tensions. « Ce n’est […] pas par la peinture que la photographie touche à l’art, c’est par le théâtre », écrivait Roland Barthes dans La Chambre claire. Au Bal, cela ne fait aucun doute.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°722 du 1 avril 2019, avec le titre suivant : Scènes de ténèbres
