Sarah Howgate : « Ses portraits expriment toute son humanité »

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 1 avril 2006 - 962 mots

Conservatrice en art contemporain à la National Portrait Gallery de Londres, Sarah Howgate a coorganisé l’exposition de Boston. Interview d’une amie et fidèle admiratrice de David Hockney.

Pourquoi faire une exposition dédiée aux portraits de David Hockney ?
Sarah Howgate : C’est le moment de dresser un premier bilan de cinquante et un ans de création de l’artiste, à travers ses portraits. David Hockney a toujours réalisé des portraits. Comme les paysages ou les natures mortes, ils sont l’un des fils directeurs de son œuvre.

Famille, amis… quels sont ses sujets de prédilection ?
Il a peint ses parents, ses amis, son chien, les gens qui lui rendent visite. Mais aussi les personnes qu’il croise, comme la série qu’il a réalisée sur les gardiens de la National Portrait Gallery de Londres en 1999, ou encore le portrait qu’il a peint de l’ouvrier qui a refait son toit. Il a aussi eu quelques portraiturés de prédilection : sa mère, dont il était proche, et Peter Schlesinger, son amant avec qui il est resté cinq ans, symbole du rêve californien.
Peter getting out of Nick’s Pool (1966) est l’un de ses premiers portraits naturalistes. Les portraits qu’il a réalisés de son compagnon à l’encre sont probablement les dessins les plus intimes et les plus délicats que l’artiste n’ait jamais faits.

A-t-il déjà peint votre portrait ?
Oui, deux fois : l’un en 1999, un des premiers dessins réalisés avec la camera lucida et l’autre en 2005, une peinture à l’huile. C’était le jour même de l’inauguration de l’exposition « Hand, Heart and Eye » de Los Angeles. Bien qu’il avait peu de temps ce jour-là, il a réalisé mon portrait en deux heures !

En quoi les portraits sont-ils caractéristiques de l’ensemble de l’œuvre de David Hockney ?
Ils donnent à voir l’extraordinaire variété de l’artiste, tant au niveau du style que des techniques. En parcourant l’exposition, nous découvrons tous les formats et toutes les techniques : peinture à l’huile, peinture acrylique, dessin à l’aquarelle, au crayon, à l'encre, photomontage, etc.

Pourquoi David Hockney revient-il en 2005 à la peinture à l’huile ?
L’artiste revient sur des portraits doubles en grand format, en peinture à l’huile, comme ceux des années 1960. Mais cette fois, il peint directement sur la toile plutôt que de réaliser un dessin préparatoire ou de se référer à une photographie. Comme il peint plus rapidement, les peintures gagnent en spontanéité et en puissance. Aussi, il réalise en 2005 des portraits d’enfants, un sujet qu’il n’a jamais vraiment abordé avant.

Qu’est ce qui pousse l’artiste à changer de style ou de technique ?
L’impression d’en avoir fait le tour. C’était le cas par exemple avec la technique de la camera Lucida. À la suite d'une exposition dédiée aux portraits d'Ingres à Londres (en 1999), David Hockney était persuadé que, pour dessiner avec autant de minutie, le peintre faisait appel à une camera lucida, un appareil d’optique munie d’une lentille qui projetait l’image sur une surface plane.
Quelques mois plus tard, il s’est donc mis à utiliser lui-même cette technique. Ce n’est qu’au bout de deux cent quatre-vingt portraits (dont certains sont présentés dans l'exposition) qu’il a évolué vers autre chose.

Que cherche-t-il à exprimer à travers ses portraits ?
Ses portraits ne sont pas toujours flatteurs pour les modèles, mais ils expriment son humanité et toute son empathie pour le sujet.
L’artiste a dit lui-même que ses tableaux les plus puissants sont ceux des personnes qu’il connaît le plus. Il parvient toujours à traduire la personnalité du sujet, parfois grâce à la technique qu’il utilise. Le jour de l’enterrement de son père, il a par exemple réalisé un portrait de sa mère (Mother, Bradford, 19 Feb. 1978 ) à l’encre rouge/marron, où la finesse du trait et l’économie des détails expriment de façon très touchante la tendresse qu’il a pour elle.

Quels sont les points communs entre ses paysages et ses portraits ?
Il y a, dans les deux, un sens inouï de l’espace. Chacun de ses genres s’interpénètre et tous sont autobiographiques.
Ses portraits disent les liens qu’il entretient avec les sujets peints, et ses paysages ressemblent parfois à des portraits. Ils parlent des lieux qui lui tiennent à cœur, comme l’est du Yorkshire qu’il est en train de peindre en ce moment. Alors que ses portraits sont dénués de paysage de fond, ses paysages sont la plupart du temps dénués de présence humaine. C’est pour lui une façon de donner encore plus de puissance à son sujet, de l’ancrer dans une temporalité.

Mais, en même temps, ses peintures paraissent intemporelles...
Il y a une tension dans son œuvre, entre le temps qui semble s’arrêter, le moment qui est capturé mais aussi un sentiment lisse d'intemporalité.
L’œuvre de l’artiste est faite de contradictions : nous sommes à la fois très proche des sujets, tout en étant éloigné de ces figures lisses et stylisées qui frôlent parfois la généralisation. La peinture paraît souvent simpliste et accessible, alors qu’elle est beaucoup plus complexe.

Comment David Hockney réussit-il à conserver de la fraîcheur dans l’exercice du portrait ?
Le fait qu’il parvienne à témoigner si bien d’une période. Dans Mr and Mrs Clark and Percy, l’artiste évoque un temps particulier à travers les vêtements du couple et le mobilier. Il le fait avec autant de talent que Gainsborough le faisait dans ses tableaux.

Biographie

1937 Naissance à Bradford, en Angleterre. 1952 Entre au Royal College of Art de Londres. 1961 Le prix Guinness de la sculpture lui est décerné. 1962 Il réalise une série d’illustrations pour le « Sunday Times ». 1982 Utilisation du Polaroid comme base de ses photos collages et de ses nombreux autoportraits. 1988 Le County Museum of Art de Los Angeles lui consacre une importante rétrospective. 1999 Le MNAM de Paris présente les œuvres de Hockney au public.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « David Hockney – Portraits » se tient au Museum of Fine Arts de Boston du 26 février au 14 mai 2006. Le musée est ouvert tous les jours à partir de 10 h. Fermeture à 16 h 30 les lundis, mardis, samedis et dimanches, 21 h 45 les mercredis, jeudis et vendredis. Entrée musée seul 15 $ plein tarif (12,20 €), 13 $ tarif réduit (10 €).Exposition 22 $ tarif unique (18 €). Museum of Fine Arts (Gund Gallery), 465 Hunting Avenue, Boston, Massachutssets USA. Tél. : (1) 617 267 9300. www.mfa.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : Sarah Howgate : « Ses portraits expriment toute son humanité »

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