Roman Signer, l’art de la surprise

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juin 2004 - 401 mots

C’était il y a une douzaine d’années sur la terrasse du Creux de l’Enfer, le centre d’art contemporain de Thiers, en Auvergne. Roman Signer avait fait une action intitulée « Petit Événement ». Il était habillé d’un vêtement ignifugé, un bidon industriel bleu était posé au centre de la terrasse, il s’était avancé vers lui, avait retiré le couvercle et une flamme avait jailli… Qu’il s’agisse d’installations ou d’actions réalisées en direct, filmées ou photographiées, les œuvres de cet artiste d’origine suisse allemande, né en 1938, relèvent de procédures qui se jouent de détournements et de retournements en tout genre mettant en jeu tout un monde d’objets ordinaires et de matériaux élémentaires. À mi-chemin entre une démarche qui multiplie les situations de catastrophe, sinon d’accident, et une attitude qui intègre « les dimensions du dérisoire et du piteux » (J.-Y. Jouannais), l’art de Roman Signer procède d’une esthétique de l’absurde dans la familiarité d’un mouvement comme Fluxus. Rien ne lui plaît plus que de concevoir des dispositifs dont le paradoxe est qu’ils évoquent l’idée d’un risque alors même qu’ils ne présentent aucun danger. C’est dans cet écart entre potentialité et réalité que l’artiste se faufile, qu’il s’invente un espace et un temps singuliers structurant minutieusement l’un pour mieux prendre possession de l’autre. L’installation qu’il a imaginée pour la chapelle du Genêteil en est une nouvelle démonstration.
Sous la voûte, six tables de bois sont suspendues par des fils ; sous chacune d’elles il a placé une bougie. Chaque table est percée d’un trou par lequel passe une mèche qui monte jusqu’au point d’attache des fils. L’idée est qu’à la fin du temps de l’exposition la flamme des bougies atteigne les mèches qui s’enflammeront et mettront le feu aux fils. Alors les tables tomberont, en des temps différés, imprévisibles. Si tout semble chez lui laisser place au hasard, à l’aléatoire et à l’imprévu, tout y est en fait maîtrisé et calculé au millimètre près, non que Signer ne laisse pas quelques portes entrouvertes mais, l’air de rien, il en mesure les possibles sorties. Tous les soins de l’artiste visent ainsi à mettre en œuvre des attentes, des énergies et des surprises. Une façon de déjouer nos habitudes perceptives et de les mettre en question pour les maintenir sans cesse en éveil.

« Roman Signer », CHÂTEAU-GONTIER (53), chapelle du Genêteil, rue du Général Lemonnier, tél. 02 43 07 88 96, 24 avril-20 juin.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Roman Signer, l’art de la surprise

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