Friedrich et Dahl, deux romantiques à Rouen

Raison et sentiment

Friedrich et Dahl, deux romantiques à Rouen

Le Journal des Arts

Le 26 octobre 2001 - 750 mots

L’un est allemand, l’autre norvégien, tous deux appartiennent à cette génération romantique qui a contribué au renouveau du paysage conçu comme espace de subjectivité. Pourtant, comme le montrent leurs dessins exposés à Rouen, Caspar David Friedrich (1774-1840) et Johan Christian Dahl (1788-1857) possèdent deux tempéraments distincts, l’un plus près de l’idée, l’autre de la sensation, qui à l’occasion se rejoignent.

ROUEN - En 1823, Johan Christian Dahl s’installe au 33 quai de l’Elbe, à Dresde, dans la maison de Caspar David Friedrich. Au-delà de l’anecdote, ce rapprochement n’est pas que fortuit puisque les deux hommes ont joué un rôle essentiel dans le renouveau de l’art du paysage, et contribué à l’affirmation de son caractère national. Et pourtant, face à la nature, chacun adopte une attitude dictée par sa subjectivité, tout en restant attaché au travail sur le motif. L’exposition du Musée des beaux-arts de Rouen, présentée cet été à Schwerin, donne à voir ce parcours parallèle, à travers une centaine de dessins, aquarelles et sépias, venus pour une grande partie du Musée national d’Oslo. Issue d’un carnet de croquis offert à Dahl, une série d’études de Friedrich – qui ouvre l’exposition – y est d’ailleurs conservée. Réalisés à la mine de plomb, ces dessins d’arbres ou de branches présentent la même sécheresse graphique que ses peintures, et trahissent cette obsession maniaque du détail qui confère à ses œuvres leur inquiétant surcroît de réalité. Mais extraits le plus souvent de leur environnement, ces motifs s’apparentent à des idées d’images, destinées le jour venu à réapparaître dans les tableaux. “Ferme l’œil de ton corps afin de voir d’abord l’image avec l’œil de ton esprit.” L’expression de Friedrich illustre parfaitement sa démarche. La construction d’une feuille comme Le Port de Greifswald avec le pont de Steinbeck (1815) souligne cette transfiguration du réel, recomposé avec une implacable rigueur, suggérant un ordre sous-jacent (divin ?) à la diversité des choses.

À mi-chemin du dessin et de la peinture, les lavis de sépia, plus composés, à l’instar du diptyque constitué par Croix dans un paysage de montagne et Paysage au lever du soleil, expriment une vision plus mentale du paysage, transformé en motif de méditation religieuse, mais conçu aussi par l’artiste comme projection de son univers intérieur. Deux œuvres tardives, Deux hommes contemplant la lune et Cimetière sous la lune, dans lequel une tombe fraîchement creusée résonne telle une funeste prémonition, soulignent ce caractère méditatif. Par ailleurs est présentée ici pour la première fois Allégorie de la musique profane, une grande feuille acquise récemment par le Musée du Louvre, qui synthétise les aspirations formelles et spirituelles de Friedrich.

Le peintre du paysage norvégien
Au contraire de son ascétique compère, Johan Christian Dahl privilégie une approche plus sensualiste de la nature, plus picturale aussi, comme l’indique le recours fréquent au lavis, à l’aquarelle ou à la gouache redoublé par l’emploi de papiers colorés. Même quand il utilise la mine de plomb, il le fait d’une manière plus suggestive. À cet égard, il est symptomatique qu’il ait accompli le voyage en Italie (1820-1821), alors que Friedrich s’y est refusé. Dans la péninsule, il a trouvé un environnement favorable pour cultiver sa sensibilité à la lumière, à l’atmosphère, comme l’attestent les merveilleuses études de nuages. Ce séjour lui permet de s’émanciper définitivement du modèle académique et le prépare à la rencontre avec le paysage norvégien. En 1826, il revient pour la première fois en Norvège, quatre autres voyages suivront (1834, 1839, 1844 et 1850). De ces expéditions, il ramène de nombreux dessins dont il fera la matière de ses grands tableaux réalisés en atelier. Son ambition, il la résume dans une lettre de 1841 : “Un paysage ne doit pas seulement montrer un paysage ou une région donnés, il doit aussi représenter la personnalité de ce pays et sa nature, il doit parler au spectateur sensible d’une manière poétique.” Son habileté à saisir le clair-obscur d’un sous-bois humide ou la clarté transparente baignant quelque fjord norvégien s’exprime au fil des années avec une légèreté toujours accrue. Et ce n’est pas sans surprise qu’apparaît au milieu de ses œuvres une aquarelle de Friedrich d’une facture assez proche. Dahl lui-même se révèle à l’occasion sensible au graphisme déchiqueté d’un arbre mort. Ainsi se brouillent des certitudes inaptes à contenir le mouvement de la sensibilité.

- CASPAR DAVID FRIEDRICH, JOHAN CHRISTIAN DAHL, ROMANTIQUES DU NORD, jusqu’au 10 décembre, Musée des beaux-arts, square Verdrel, 76000 Rouen, tél. 02 35 71 28 40, tlj sauf mardi et jours fériés 10h-18h. Catalogue, 128 p., 180,40 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°135 du 26 octobre 2001, avec le titre suivant : Raison et sentiment

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