Art moderne

Puy, un fauve trop discret

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 4 décembre 2007 - 1077 mots

Relégué au second plan derrière les grands fauves, Jean Puy était pourtant de ceux dont les toiles affirmèrent, au Salon d’automne de 1905, le primat de la couleur.

C’est pour rendre hommage à Jean Puy (1876-1960), artiste mal connu, que le musée Paul Dini de Villefranche-sur-Saône lui consacre une exposition envisagée sous l’angle de ces amitiés artistiques nouées au début du XXe siècle.

La bande des cinq
Puy, Matisse, Camoin, Marquet et Manguin : les cinq « pères », comme ils s’appelaient entre eux, se rencontrèrent à Paris au tournant du siècle. Fils d’industriels de la région de Roanne, Jean Puy débarque à Paris en 1897, après avoir entrepris une formation au sein de l’école des beaux-arts de Lyon. Inscrit à l’Académie Jullian, il préfère finalement intégrer l’atelier d’Eugène Carrière, réputé pour sa plus grande liberté d’esprit. C’est là qu’il croise Matisse avec qui il noue des liens durables. Matisse lui fait alors rencontrer la bande des élèves de Gustave Moreau : Camoin, Marquet et Manguin.
Tous partagent un même goût pour l’anticonformisme. Si Jean Puy profite de son installation à Paris pour se frotter aux maîtres dans les salles du musée du Louvre, il découvre dans les galeries Bonnard et Renoir, mais avoue une incompréhension pour le travail de Picasso. La bande des cinq se frotte d’abord à l’impressionnisme, découvert grâce au legs Caillebotte, entré en 1896 au musée du Luxembourg. Jean Puy apprécie ce travail sur la touche et la palette, mais trouve la voie limitée. De 1901 à 1904, le groupe vit ainsi une stimulante émulation et tente de dépasser l’impressionnisme. La division de la touche les passionne un temps, puis ils cherchent à exalter la couleur pure, dans une filiation revendiquée avec Van Gogh et Cézanne. Autant d’efforts qui aboutiront au coup d’éclat de 1905 et à la création du mouvement « fauviste ».
Jusqu’à la Première Guerre, au cours de laquelle Puy est mobilisé, ces artistes partagent modèles et ateliers, échangent correspondance et tableaux, voyagent ensemble, en Bretagne ou à Collioure. Puis Jean Puy suit une voie plus autonome. Séduit par l’intimisme d’un Bonnard, il s’essaie aux natures mortes, aux paysages et marines. La guerre, si elle sépare les artistes, est aussi le signe d’un changement d’époque. À son issue, le cubisme puis l’abstraction ont envahi les cimaises des galeries d’avant-garde, jadis occupées par les fauves. Puy refuse cette voie et, comme Matisse, préfère rester fidèle à la figure et à la couleur.
Dès les années 1920, Puy, pourtant représenté par Vollard, produit et vend moins. La critique se désintéresse de son travail et c’est son frère, Michel,  qui écrit sa première biographie en 1920. Plusieurs expositions ont depuis réhabilité son singulier travail, dont une dernière grande rétrospective au musée Marmottan, à Paris, en 2004. Le choix d’une voie plus classique, glorifiant le caractère ornemental de la peinture, à l’instar de Matisse, est parfaitement illustré dans une œuvre de cette période, l’Odalisque lisant.

Le motif ornemental
« Une manière décorative de rendre les couleurs »
À l’exemple de son ami Henri Matisse, Jean Puy s’illustre ici par son sens décoratif. Dans l’Odalisque lisant, les tapisseries et décors textiles de la pièce dans laquelle prend place la figure féminine sont traités en aplats de formes colorées. Celles-ci donnent une trame géométrique au tableau et évoquent des contrastes d’effets de matière. L’espace est simplifié, l’effet de profondeur étant simplement rendu par l’empilement des livres de la bibliothèque.
Selon Michel Puy, le frère et premier biographe de l’artiste, Jean Puy avait une « manière décorative de rendre les couleurs ».

L’espace intime
L’attirance pour Bonnard
S’il aimait peindre des marines en Bretagne, Jean Puy a volontiers reconnu être mal à l’aise avec la lumière méditerranéenne et ses paysages. De même, peindre des scènes de rue à Paris ne l’intéressait guère. À ces sujets, il préférait les grands espaces et la lumière changeante des paysages de Bretagne, plus en adéquation avec sa sensibilité à la nature et avec son tempérament inquiet.
Le peintre partage ainsi son temps entre Roanne et la Bretagne, à la belle saison, et Paris l’hiver où il ne travaille qu’en atelier. Dans cette peinture, l’espace est entièrement clos, refermé sur la figure centrale. Il marque ici une attirance pour la peinture de Bonnard, peintre de l’intime – Jean Puy peindra lui aussi une Femme au tub (vers 1906).

L’odalisque
Après Ingres et Matisse
La figure féminine est primordiale dans l’œuvre de Jean Puy. Outre quelques nus à la charge érotique affirmée, le peintre apprécie de traiter le sujet du « Nu dans l’atelier », plongé dans un clair-obscur qui renforce la sensualité du modèle.
Ici, il opte pour une odalisque lisant, s’inscrivant dans la tradition d’un thème popularisé par Ingres puis repris par Matisse. La femme de harem devient ici une femme assise en tenue d’intérieur, prétexte à un chatoiement de couleurs. La forme est simplifiée, tracée grâce à un cerne épais. Pourtant, Jean Puy considérait les odalisques d’Henri Matisse, auprès de qui il a probablement peint les mêmes nus, comme des « abstractions froides » et avouait détester L’Odalisque couchée de Ingres. Ces corps n’étaient, à ses yeux, pas assez réels.
« Vous ne perdrez donc pas l’habitude de tenir les fesses de votre modèle entre les mains quand vous peignez », lui aurait un jour reproché Matisse.

La touche malmenée
Le refus de l’abstraction
L’angle supérieur gauche du tableau illustre la manière dont Puy traite la matière picturale. Laissée en partie visible, la couche d’apprêt disparaît derrière quelques coups de brosse rapides. Dès les années 1900, Puy expérimente différentes voies picturales. Il tente d’assimiler les leçons de Van Gogh et de Cézanne et de faire de la couleur un langage. « On cherchait à se rendre compte comment chaque partie peinte réagissait sur celle d’à côté et dans le tableau entier quel devait être le ton qui commande aux autres », écrit le peintre dans ses souvenirs autobiographiques.
Pour autant, Puy refuse de basculer dans l’abstraction. Si son trait a parfois une connotation abstraite, la figure reste bel et bien le motif central du tableau.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Jean Puy, une amitié artistique (1900-1930). Matisse, Marquet, Manguin et Camoin », jusqu’au 10 février 2008. Commissaire général”‰: Sylvie Carlier. Musée Paul Dini, 2, place Flaubert, Villefranche-sur-Saône (69). Ouvert du mercredi au vendredi de 10”‰h à 12”‰h”‰30 et de 13”‰h”‰30 à 18”‰h, le samedi et dimanche de 14”‰h”‰30 à 18”‰h. Tarifs”‰: 5 € et 3 €. Tél. 04”‰74”‰68”‰33”‰70, www.musee-paul-dini.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°597 du 1 décembre 2007, avec le titre suivant : Puy, un fauve trop discret

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