Prends garde à toi !

Orsay revient sur l’influence des peintres espagnols

Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2002 - 661 mots

PARIS - Les commissaires de l’exposition, Geneviève Lacambre, anciennement conservateur au Musée d’Orsay, et Gary Tinterow, conservateur au Metropolitan Museum of Art de New York, ont dû affronter un authentique dilemme pour mettre en scène la découverte par les peintres français du XIXe siècle de la manière espagnole, aussi bien celle de Velázquez que celle de Goya. Fallait-il mettre en scène la confrontation directe entre les deux termes, ou au contraire opérer une stricte séparation ? Dans le premier cas, au moins deux écueils se présentaient. D’une part, la comparaison avec des chefs-d’œuvre de Velázquez, Zurbarán ou Ribera risquait de nuire à des maîtres plus modestes comme Théodule Ribot (sans parler du désastreux Job de Léon Bonnat) ; d’autre part, un tel accrochage aurait tendu à donner une source unique à certaines œuvres et à offrir un jeu un peu mécanique et stérile de comparaisons. Aussi, le choix a été fait de montrer les Espagnols d’abord, les Français ensuite, invitant les visiteurs à faire un effort de mémoire. Les espaces d’exposition du Musée d’Orsay étant ce qu’ils sont, la présentation dans la première salle des grands formats du Siècle d’or, littéralement les uns contre les autres, si elle peut évoquer les accrochages touffus du XIXe siècle, apparaît plutôt désagréable. Il existe pourtant là de quoi satisfaire l’amateur exigeant, du Saint François en méditation de Zurbarán (Londres) au Démocrite de Velázquez (Rouen), en passant par le Pied-Bot de Ribera (Louvre).

C’est aux cimaises d’un musée que les artistes avaient découvert l’art espagnol, au Musée Napoléon jusqu’à la chute de l’Empire, puis dans la Galerie Louis-Philippe au Louvre de 1838 à 1848, tandis que des collections privées comme celle du maréchal Soult s’ouvraient à la peinture ibérique. Les Français trouvent dans ces peintres jusqu’alors négligés (à l’exception de Murillo) une leçon de réalisme, bien éloignée des canons académiques en vogue. Delacroix, Chassériau, Corot, Courbet, Degas, tous les grands artistes “modernes” payent leur tribut à la manière espagnole, y puisant aussi bien une picturalité nouvelle, moins lisse, plus spontanée, que des sujets pittoresques, en phase avec l’esthétique romantique. Par la qualité et le nombre de ses œuvres, Manet occupe une place centrale dans cette exposition. L’artiste démontre de façon précoce son attirance pour le pays de Carmen à travers des tableaux comme Le Chanteur espagnol ou L’Enfant à l’épée, ou encore Mademoiselle Victorine en costume d’espada. Malgré sa familiarité avec la peinture espagnole, son voyage à Madrid en 1865 fait figure de révélation. Au Prado, il découvre toutes les toiles de Velázquez, qu’il qualifie tout simplement de “peintre des peintres” dans une lettre adressée à Fantin-Latour. Dans cette même missive, il s’enthousiasme pour le Portrait du bouffon Pablo de Valladolid (présenté dans l’exposition) : “Le morceau le plus étonnant de cette œuvre splendide et peut-être le plus étonnant morceau de peinture que l’on ait jamais fait est le tableau indiqué au catalogue, portrait d’un acteur célèbre du temps de Philippe IV ; le fond disparaît, c’est de l’air qui entoure ce bonhomme tout habillé de noir et vivant.” Toutes les grandes figures en pied sur fond neutre que Manet peint à son retour, notamment ses Philosophes, sont marquées du sceau de Velázquez, ainsi le Ménippe, également exposé ici, qui offre un autre modèle possible dans l’invention d’une peinture moderne. L’artiste français n’en revenait pas moins impressionné – comme on le dit d’une pellicule – par Goya (Le Balcon). De son voyage, il ramène également des visions plus prosaïques tel le spectacle d’une corrida. Dans une arène baignée d’une lumière aveuglante, l’animation du public est simplement rendue par la vibration colorée de la touche. En 1834, un critique avait décrit la manière de Goya comme un “chaos d’éclaboussures”. Le Combat de taureaux de Manet mériterait bien que l’on retourne l’insulte en compliment.

- MANET/VELAZQUEZ, LA MANIÈRE ESPAGNOLE AU XIXe SIÈCLE, jusqu’au 5 janvier, Musée d’Orsay, quai Anatole-France, 75007 Paris, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-21h45, dimanche 10h-18h, www.musee-orsay.fr. Catalogue, éd. RMN, 416 p., 45 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Prends garde à toi !

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