Picabia kitsch ou artiste Pop ?

L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 290 mots

Longtemps les nus de Picabia furent ignorés, méprisés, relégués au rang d’aberration kitsch. La critique ne percevait dans ces femmes nues aux poses lascives qu’une peinture commerciale, de cette sorte de peinture propre à assurer la survie d’un artiste durant la période troublée des années quarante.
Le public et la presse se montraient désormais méfiants envers cet artiste dadaïste systématiquement provocant. Le retour à l’abstraction, qu’il effectua en janvier 1945, ne fit que confirmer ce jugement. La cause était donc entendue, et, jusqu’à l’aube des années quatre-vingt, ces toiles scabreuses et déconcertantes de mauvais goût furent passées sous silence. Le jugement était hâtif. Mais pour comprendre réellement la portée de ces œuvres, il a fallu opérer un véritable travail d’historien. C’est aujourd’hui chose faite avec cette exposition qui bouleverse l’appréciation que l’on avait de cet artiste co-fondateur du dadaïsme français avec Marcel Duchamp. Les quarante toiles sont accompagnées de leurs sources iconographiques – photographies issues des magazines populaires et revues érotiques des années trente. Détourées, manipulées par un Picabia qui, ici, enlève le fond, là, raccourcit un bras, ces images lui permettent surtout d’inverser l’ancienne hiérarchie des sujets. Le nu devient « vulgaire » avec ces poses affectées et convenues. Picabia serait donc le premier artiste-peintre dont l’œuvre montre la nouvelle relation de dépendance entre l’art et la consommation médiatique issue de l’industrie culturelle. Or, mettre en évidence l’importance des médias dans la formation de notre société fut également la principale préoccupation des artistes du Pop Art. Picabia, artiste inclassable, serait donc le lien, jamais clairement identifié, entre le dadaïsme et le Pop Art. Ce type de découverte historique essentielle mérite assurément une visite approfondie.

GRENOBLE, Musée de Grenoble, jusqu’au 3 janvier, cat. RMN, 96 p., 90 ill., 125 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : Picabia kitsch ou artiste Pop ?

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque