Olivier Debré, rouge-orange coulé… Lærdal

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 17 février 2017 - 1090 mots

À Tours, la réouverture du CCC OD (Centre de création contemporaine Olivier Debré) dans un bâtiment neuf est l’occasion de redécouvrir les tableaux que le peintre a peint en Norvège, une œuvre sans équivalent.

Des coulées de peinture qui n’en finissent pas de charrier la lumière. Celle-ci se laisse entraîner, bute parfois sur des îlots de matière résistante, se fraye un chemin dans l’entre-deux d’une effraction, brûle la toile de tous ses feux pour s’épancher finalement en de doux et subtils effluves. L’œuvre peinte d’Olivier Debré est unique en son genre, immédiatement repérable, non classifiable parce que n’appartenant à aucune école, le plus souvent qualifiée d’abstraite faute de le dire autrement. Si elle l’est de fait, à vue, c’est qu’elle ne procède d’aucune mimesis, mais qu’elle est l’écho d’un ressenti. D’une « nécessité intérieure », comme en parle Kandinsky dans l’ouvrage fondateur qu’il publie en 1912, intitulé Du spirituel dans l’art. « Je traduis l’émotion qui est en moi devant le paysage, l’émotion qui me domine ; je ne suis sincère que dans le choc, l’élan », disait l’artiste à qui voulait l’entendre. De l’émotion et du paysage, Olivier Debré est tout à la fois submergé. Il en est proprement envahi et la peinture y gagne une inédite étendue. « La poésie n’est pas évasion, elle est invasion », proclamait pour sa part Jean Cocteau. L’art du peintre est requis par le poétique.

Architecte de formation, Olivier Debré (1920-1999) a développé une œuvre singulière tout au long de la seconde moitié du XXe siècle qui fait la part belle au signe, à l’espace et à la couleur. Une œuvre de Titan à l’échelle tour à tour micro et macroscopique du monde et dont l’aventure esthétique peut se résumer en trois ordres : signes-personnages, la verticalité ; signes-paysages, l’espace ; et carnets de voyages, la couleur. La peinture de Debré vise une embrassée du monde, généreuse et sans limites, qui invite le regard à une contemplation. « Elle réclame une concentration de l’esprit et une mobilité orientée du corps », note Achille Bonito Oliva dans le catalogue de l’exposition monographique de l’artiste à la galerie nationale du Jeu de Paume en 1995. Né dans une famille de médecins et d’artistes – son grand-père était le peintre toulousain Édouard Debat-Ponsan (1847-1913) – ancrée aux bords de la Loire, Olivier Debré en a fait le fleuve-source de toute une production picturale qui s’est élargie aux quatre coins du monde pour en célébrer l’unité naturelle. 

Les paysages du Grand Nord

Datée de 1990 et intitulée Rouge – orange coulé… Lærdal, cette peinture à l’huile d’Olivier Debré, qui mesure 120 par 150 cm, appartient à l’ensemble de ses œuvres de Norvège. C’est en 1966 que le peintre découvre ce pays, à la suite de l’invitation qui lui avait été faite par le galeriste et historien d’art Haaken A. Christensen d’exposer chez lui à Oslo. À peine arrivés, racontera plus tard Jean Cortot, Olivier et sa femme Denise ont quitté la capitale pour s’envoler vers les glaciers, les montagnes et les forêts des solitudes lapones et, comme l’avait justement prévu son galeriste, la beauté du Grand Nord a littéralement foudroyé Debré. Dès lors, l’artiste ne cessera de s’y rendre et de travailler sur place. Voyageur dans l’âme, il était à l’affût de paysages et la Norvège lui en offrit de toutes sortes. Il en a peint de toutes les dimensions et de toutes les couleurs, toujours très fluides, tantôt sombres, gris ou bleu profond, tantôt flamboyants ou d’un blanc quasi aveuglant.

La puissance de la couleur
À dominante horizontale, riche d’une matière colorée qui tend vers le monochrome, Rouge – orange coulé… Lærdal décline sur plusieurs niveaux tout un jeu de flux dont la densité s’allège du bas vers le haut. Le titre renvoie au nom d’un petit village où la saison de l’automne inspirait plus particulièrement le peintre. Le ton rougeoyant du tableau n’est pas sans évoquer l’émotion vécue devant un coucher de soleil, à l’instar de ceux que nous ont donnés Le Lorrain et Monet, deux artistes qu’affectionnait Debré. « Je fais de ma toile une sorte de miroir où le monde se réfléchit et se prolonge », disait-il. Les peintures d’Olivier Debré offrent à voir comme les fragments d’un espace illimité qui se développe au-delà des limites de la toile. Elles sont sans commencement ni fin, d’une immensité mentale quelles que soient leurs dimensions. S’il privilégie la couleur sur la forme, c’est que, pour lui, celle-ci ne peut exprimer le bouleversement sensible ressenti face à la nature ; seule, la couleur est apte à le faire.

Espace et lumière

Loin de la Norvège régnait ce même silence dans le grand hangar désaffecté de l’aéroport du Bourget où le peintre, vêtu d’une combinaison blanche, des sacs plastique simplement ficelés autour de ses chaussures, balayait la peinture du futur rideau de scène de la Comédie-Française, au beau milieu d’une immense flaque de la même couleur rouge que le tableau de Lærdal. C’était en 1987, trois ans avant, et la parenté entre ces deux étendues de peinture est riche d’enseignements. Ce n’est pas tant le paysage qui fait la peinture d’Oliver Debré que l’espace et la lumière qu’il met dans la couleur.

Le monde visible
Abstraite, l’œuvre d’Olivier Debré l’est au sens prémonitoire où l’entendait Maurice Denis lorsqu’il nous invitait à « se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Le titre y participe d’ailleurs puisqu’il réfère tout d’abord à la chromie et à la nature de la matière picturale employée avant d’énoncer le nom du site qui en a suscité l’évocation au peintre. Car il s’agit bien ici d’une « évocation », quand ce mot désigne le timbre d’une voix extraite d’une profondeur. Il y a toujours dans la peinture de Debré quelque chose qui renvoie à l’idée de rythme, de bruissement, voire d’un silence enfoui. Dans le catalogue de la première exposition muséale du peintre au nouveau Musée des beaux-arts du Havre, en 1966, Jean Lescure l’avait déjà relevé : « Contre le tohu-bohu envahissant que les spectacles naturels lui proposent, Olivier Debré choisit d’affirmer l’importance et la présence singulières d’un silence visible. »

Biographie

1920 - Naissance à Paris

1938 - Intègre l’École nationale supérieure des beaux-arts, fréquente l’atelier d’architecture de Le Corbusier

1949 - Première exposition personnelle à la Galerie Bing. Rencontre entre autres Pierre Soulage et Hartung

1967 - Représente la France à l’Exposition universelle qui se tient à Montréal

Années 1970 - Voyage en Norvège

1995 - Rétrospective à la galerie nationale du Jeu de Paume. L’exposition circule en Europe et en Amérique latine

1999 - Meurt à Paris

« Olivier Debré. Un voyage en Norvège »

Du 11 mars au 17 septembre 2017. Centre de création contemporaine Olivier Debré. Jardin François Ier, Tours (37). Ouvert du mercredi au samedi 14h30-18h30. Tarifs : 6€ et 3€. www.cccod.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°699 du 1 mars 2017, avec le titre suivant : Olivier Debré, <em>rouge-orange coulé… Lærdal</em>

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