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Nostalgies prospectives

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 février 2000 - 509 mots

À l’heure où l’on ne compte plus le nombre de nations aspirant à rejoindre les rangs de l’Union européenne, il est fort à propos de vouloir nous tenir informés de ce qui se passe sur le terrain artistique de cette « Autre moitié de l’Europe » que constituent les anciens pays dits « de l’est ». L’exposition du Jeu de Paume se propose ainsi de faire le point sur la situation dans une douzaine de ceux-ci (Bosnie, Bulgarie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Slovénie, Ukraine) en structurant sa programmation de février à juin en quatre volets distincts. Composé sous forme d’un triptyque thématique, chacun d’eux a pour objectif de montrer les travaux de huit à dix artistes au regard tour à tour d’une expérience, d’un vécu, d’un mystère et d’un avenir. Si le titre laisse à supposer un partage pour le moins toujours tranché entre deux mondes, c’est qu’il ne peut être question d’appréhender cette partie-là du monde sans prendre en compte les événements de ces dix dernières années et l’évolution géopolitique qui s’en est suivie. Qu’en est-il de l’art des pays de l’est ? Partagent-ils une même culture ? Quel a été l’impact de l’écroulement de l’empire soviétique et de l’ouverture des frontières vers l’ouest sur leur création artistique ? Qu’est-ce qui fonde la spécificité de leurs recherches ? Voilà autant de questions qui justifient cette exposition quand bien même elle n’a pas la prétention d’y répondre de manière exhaustive. Elle en pose en revanche les termes de la façon la plus objective en rassemblant toutes sortes de travaux d’artistes dont nous ne sommes guère familiers, mises à part quelques figures très repérées comme celles de Kabakov, Abakanowicz, Opalka, Komar & Melamid, Dimitrijevic, Kolibal ou du groupe I.R.W.I.N. S’il n’est pas surprenant de relever qu’un grand nombre de ces travaux sont chargés d’une forte connotation politique, ce qui en fait une marque puissamment distinctive, on observe que pour la création de cette « autre moitié de l’Europe » il y va d’un même éclectisme dans les sujets et d’une même diversité dans les techniques que ceux qui caractérisent l’art « occidental ». Côté objets grinçants, on retiendra par exemple le Lego concentration camp du Polonais Zbigniew Libera ou les Chocolate Crucifixes du Lituanien Eglé Rakauskaité ; côté peinture abstraite, les jeux de lignes verticales du Hongrois Tomas Hencze ou celles serpentines et colorées du Tchèque Zdenek Sykora ; côté bande vidéo, Le Bain des hommes de la Polonaise Katarzyna Kozyra. S’il fut un temps où, à l’est, « la culture fonctionnait comme une stratégie de résistance à l’oppression totalitaire » (Piotr Piotrowski citant Magda Carneci), force est de constater au vu des travaux présentés au Jeu de Paume qu’elle opère bien plus aujourd’hui en qualité de nostalgie prospective, en quête d’une liberté tantôt retrouvée, tantôt apprise, tantôt conquise. Au prix parfois, cela dépend des générations, d’un effet de banalisation qui sanctionne l’avènement d’un « style international », comme certains l’ont justement noté.

PARIS, Jeu de Paume, jusqu’au 21 juin, CD-ROM éd. Jeu de Paume/RMN.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°513 du 1 février 2000, avec le titre suivant : Nostalgies prospectives

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