Mythes à la dent dure

À Paris, le Maao tombe les masques

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2001 - 612 mots

Sortant des sentiers battus, le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (Maao) s’attache à démonter les mythes qui entourent les populations du Pacifique depuis plus de deux siècles. Prenant pour exemple le couple formé par les « Kannibals et Vahinés », l’exposition homonyme met à mal un discours politique colonial, tout en dévoilant nombre d’objets à l’exotisme délicieux.

PARIS - Tandis que le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (Maao) attend avec pragmatisme sa disparition annoncée au profit du Musée du quai Branly, l’histoire se mord la queue dans le bâtiment de la porte Dorée construit pour l’Exposition coloniale de 1931. La richesse des conquêtes narrée avec grandiloquence sur ses murs est en parfait décalage face au déferlement d’images délicieusement exotiques contenues par la grande salle de réception. Là se trouvent pêle-mêle un Elvis en chemise hawaïenne, des récits de science-fiction prenant pour décor l’île de Pâques, ou de pénibles ouvrages missionnaires des années 1930. La manière classique du pouvoir ou le plastique bon marché des gadgets participent pourtant à la même idée reçue du méchant sauvage et de l’avenante femme des îles. “Un imaginaire qui a une fonction historique et populaire lourde”, rappelle Roger Boulay, commissaire de l’exposition “Kannibals et Vahinés”, initialement présentée à Nouméa au Centre culturel Jean-Marie-Tjibaou. À l’origine du duo, synonyme d’enfer et de paradis, celui-ci en a placé un autre, composé par Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811) et le comte de La Pérouse (1741-1788). Le premier a ramené avec ses hommes le souvenir d’un Pacifique où l’on ne connaissait “d’autres dieux que l’amour”, l’autre, par sa fin tragique, a nourri la peur du sauvage affamé et sanguinaire.

Le tout – des atlas de voyage banalisés aux attitudes tribales en vogue dans les publicités et les magazines de société, en passant par le Tabou de Murnau – aboutit, du XVIIIe siècle à nos jours, à un imaginaire collectif mensonger, manipulateur mais aussi fécond. L’exposition prend soin de démonter, exemples à l’appui, ses fantasmes et “broques” occidentaux. La réussite de la manœuvre réside dans une mise à distance critique qui accepte partiellement la richesse de cette iconographie. Multipliables à l’infini (“Souvenirs des mers du Sud”, “Jules Verne et le Pacifique”...), les sujets, encadrés par huit thèmes plus larges (“Le voyage vers l’enfer”, “Le Noir blanchi”...), sont circonscrits dans une série de “farés”, modules inspirés des constructions traditionnelles tahitiennes. D’une baraque à l’autre, les trésors surannés (figurine, pochette de disque...) se confrontent à des chapitres plus douloureux comme l’exhibition de Kanaks au jardin d’Acclimatation lors de l’Exposition coloniale de 1931. Au fil des cimaises, un commentaire s’applique à relativiser les généralités sur le cannibalisme, rituel extrêmement encadré, ou les thèses évolutionnistes du XIXe siècle encore fortement ancrées dans les esprits. Le spectateur voit alors apparaître autant d’inexactitudes et de généralités dans une histoire où, pour des raisons de lisibilité, les méchants sont noirs (les Mélanésiens) et les gentils blancs (les Polynésiens). Quant aux Aborigènes, ils ont pour eux d’avoir inventé le boomerang...

Mais la démonstration la plus éloquente est visuelle. Elle est donnée par l’intrusion de la littérature de gare dans les salles attenantes des collections permanentes où sont conservées les œuvres aborigènes contemporaines et des pièces océaniennes. Tous les discours de domination occidentaux s’effondrent alors d’eux-mêmes. “Depuis la nuit des temps, ces aimables Papous se nourrissent de viande humaine”, proclame dans une vitrine une double page récente du magazine New Look. Les mythes ont décidément la dent plus dure que les cannibales.

- KANNIBALS ET VAHINÉS, IMAGERIES DES MERS DU SUD, jusqu’au 18 février, Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie, 293 avenue Daumesnil, 75012 Paris, tlj sauf mardi, 10h-17h30, cat. éditions RMN, 184 p., 195 F., www.rmn.fr/kannibalsetvahinés.fr

Aux sources du mythe

Parallèlement à l’exposition parisienne, le Musée des beaux-arts de Chartres (jusqu’au 18 février, tél. 02 37 36 41 39) remonte aux sources iconographiques des “Kannibals et Vahinés�?. Environ 300 documents de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, majoritairement consacrés aux expéditions françaises, y sont présentés. Une large place est ainsi faite au voyage de Dumont d’Urville et à ses illustrateurs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : Mythes à la dent dure

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque