Millais et son Ophélie trempée dans les mauvaises herbes

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 4 décembre 2007 - 508 mots

« Vulgarité », « laideur », « ivrognes crasseux » : les termes employés pour qualifier les toiles de Millais témoignent de la violence des critiques de l’époque. Charles Dickens en tête.

La Confrérie préraphaélite, qui a vu le jour en 1848 dans l’Angleterre victorienne, a subi à ses débuts la charge d’une critique britannique peu encline à célébrer une peinture jugée rétrograde et des modèles féminins « vulgaires ». Et Millais en a largement fait les frais.
Les critiques les plus acerbes ont été notamment écrites à l’occasion de l’exposition du Christ dans la maison de ses parents (1849-1950), composition jugée blasphématoire par son réalisme. The Blackwood Magazine décrit « un ramassis de pieds épatés, d’articulations boursouflées et de membres difformes ». Mais la charge la plus violente vient du chef de file du roman social anglais, Charles Dickens. Ce dernier écrit : « Partout où il y a moyen d’exprimer la laideur d’un visage, d’un membre ou d’une attitude, vous la trouverez exprimée. Des hommes tels ces charpentiers, vous pourriez les voir être déshabillés dans n’importe quel hôpital où sont accueillis des ivrognes crasseux dans un état variqueux avancé. »
On comprend mal la réticence de l’auteur d’Oliver Twist à l’encontre de la verve réaliste du jeune Millais. Mais ce dernier a osé faire de la famille du Christ une famille de prolétaires au réalisme criant, indigne de leur rang. N’est-il pas allé jusqu’à observer la musculature de véritables charpentiers pour livrer une version estimée juste ?

La faveur du critique Ruskin
Millais ne trouvera à cette époque qu’un seul défenseur de son souci du détail en la personne de l’éminent écrivain et critique d’art John Ruskin. Chantre de Turner, il accompagnera l’émergence des préraphaélites. Millais gagne ses lettres de noblesse avec sa version dramatique et mystique d’Ophélie dans son « cercueil aquatique et végétal » dont l’ensemble de la presse salue le rendu, la précision et le fini. Seul le Times le crucifiera : « Il doit y avoir quelque chose d’étrangement pervers dans l’imaginaire de qui s’obstine à tremper Ophélie dans un fossé rempli de mauvaises herbes » !
Jusqu’à son départ de la Confrérie, Millais n’aura de cesse de se voir reprocher son adhésion à « la secte », à ses choix féminins, cet idéal de femme rousse au teint diaphane. Son émancipation artistique sera incarnée par La Jeune Fille aveugle (1854-1856) et les Feuilles d’automne (1855-1856), avec lesquels il développe une veine plus sociale, représentant ces enfants vagabonds et handicapés. Il s’affranchit alors des grandes références religieuses et romanesques de ses confrères, admettant même qu’il peint ici sans sujet, qu’il est à la recherche d’une expérience personnelle. Millais s’éloigne alors de la ferveur du groupe, échappant enfin aux critiques, quitte à perdre son essentielle et mystérieuse mélancolie.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Millais », jusqu’au 13 janvier 2008. Commissariat”‰: Alison Smith, Jason Rosenfeld. Tate Britain, Millbank, Londres, SW1P 4RG. Métro : Pimlico, Vauxhall. Ouvert tous les jours de 10 h à 17 h 50. Tarifs : 15 € et 14,30 €. Tél. 44 (0) 20”‰78”‰87”‰80”‰08, www.tate.org.uk

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°597 du 1 décembre 2007, avec le titre suivant : Millais et son Ophélie trempée dans les mauvaises herbes

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque