Photographie

Métier : photojournaliste

À Paris, des photographies de la guerre civile espagnole

Par Michel Frizot · Le Journal des Arts

Le 31 août 2001 - 823 mots

La guerre civile espagnole (1936-1939), qui vit la chute de la République et l’installation pérenne du fascisme en Espagne, est encore dans beaucoup de mémoires et ces événements, qui sont comme un écho des difficultés du Front populaire en France, suscitent intérêt et sympathie. C’était aussi un moment important de l’histoire de la photographie et la redécouverte attentive de ces images, au-delà du simple document commémoratif, rend plus explicite l’exposé des faits.

PARIS - L’exposition organisée par le Musée national d’art de Catalogne, de Barcelone, sous la direction experte de David Balsells, rend pleinement justice au rôle de la photographie dans la connaissance, et même le déroulement, des événements qui secouèrent ces trois années et scellèrent le sort de l’Espagne. Car c’est par la photographie, plus encore que par la radio ou les articles de journaux, que cette guerre fut connue et trouva une large résonance, des États-Unis à l’Union soviétique, en passant par la France mais aussi l’Allemagne hitlérienne et l’Italie mussolinienne, jusqu’à devenir une sorte de champ d’essai pour les affrontements de 1939-1945. Ce fut en effet un complexe mélange de lutte entre le fascisme et la démocratie, de conflit de classe et de guerre de religion, mais aussi la première “guerre” depuis 1918, où purent être mis en œuvre les moyens les plus modernes, qui seront ceux de la Seconde Guerre mondiale. La photographie était parmi ces moyens techniques nouveaux, puisque deux grands changements sont intervenus autour de 1930 : la généralisation des appareils très maniables, de petit format (Leica, Rolleiflex) permettant des prises de vue rapides, sans long délai de visée ou de mise au point ; la vogue des magazines d’information abondamment illustrés de photographies (des hebdomadaires qui complètent les quotidiens, eux aussi illustrés).

Pour la première fois, les reporters-photographes prennent le pas sur les reporters-journalistes qu’ils accompagnent, et les lecteurs sont davantage saisis par les images qu’ils voient que par les relations factuelles qu’ils lisent. La guerre civile devient ainsi le laboratoire d’une nouvelle pratique photographique, le photojournalisme, par lequel le photographe, légendeur de ses propres images, maître de ses mouvements et des sujets qu’il vise, suffit presque à l’information en portant l’attention sur l’image et sur l’émotion qu’elle suscite, mieux que beaucoup de textes. Cette ferveur pour la photographie est poussée par le camp républicain, qui mise sur la diffusion internationale des images pour rassembler de l’aide contre la coalition des pays fascistes : le Commissariat à la propagande de Catalogne met des laboratoires à disposition des nombreux photographes étrangers (pour la plupart, du reste, favorables aux républicains) et diffuse aussi les productions de photographes locaux, conduits par l’étonnant Agustí Centelles (une des bonnes découvertes de cette exposition). Le conflit révèle à eux-mêmes des Catalans comme Centelles, Pere Català Pic, Antoni Campañá, et des photographes étrangers indépendants, ou envoyés par de grandes agences internationales : Hans Namuth, Georg Reisner, Chim, André Papillon. Tous trouvent là des circonstances d’exercice qu’ils savent être une répétition générale de ce qui viendra. Il est de notoriété que la forte personnalité de Robert Capa se forgea dans cette guerre, aux côtés de sa compagne Gerda Taro qui y périra ; c’est en Espagne qu’il apprend à se placer sur le front, qu’il photographie au plus près des combattants, qu’il accepte tous les flous de “bougé” comme traduisant l’engagement instantané du photographe : c’est là qu’il fera l’une des plus célèbres photos du siècle, le républicain fauché par une balle à Cerro Muriano, le 5 septembre 1936, photographie aussi stupéfiante de “coïncidence” que génératrice de polémique. D’autres encore, qui étaient comme lui déjà des photographes, mais pas encore des reporters de guerre, y forgent le photojournalisme qui s’exercera jusqu’à la guerre du Vietnam, diffusé par Life (fondé en 1936, qui est dès ce moment le meilleur client de tous ces photographes). Capa, qui avait été envoyé par le magazine français VU, dont la direction reculera devant son engagement républicain, confiera ensuite ses reportages à Regards, émanation du Parti communiste.

Ces photographies, que l’on n’aurait peut-être pas regardées avec la même acuité il y a vingt ans, sont maintenant bien lisibles, avec le recul, comme un moment d’origine : le langage nouveau qui y est expérimenté est suffisamment décalé des standards plus récents. On ressentait alors pour la première fois l’impression visuelle d’une participation sans intermédiaire, sans distance, aux événements et à l’action (les barricades, les départs des miliciens, les combats de rue, la désolation des ruines) ; et l’impression d’être proche des souffrances de ces gens, par l’entremise des visages et des regards, cultivés par Capa, Namuth, Reisner et Papillon. L’enthousiasme et la compassion devenaient transmissibles par l’image.

LA GUERRE CIVILE ESPAGNOLE, jusqu’au 23 septembre, Patrimoine photographique, hôtel de Sully, 62 rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tél. 01 42 74 47 75, tlj sauf lundi 10h-18h30. Catalogue : La Guerre civile espagnole. Des photographes pour l’histoire, Paris, Marval, 2001, 188 pages, 201 photographies, 350 F ; ISBN 2-86234-315-3 ; publié également en espagnol.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°131 du 31 août 2001, avec le titre suivant : Métier : photojournaliste

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