Max Beckmann à cheval entre le réel et l'illusion

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 26 juillet 2007 - 954 mots

Clowns, danseurs de cabarets, saltimbanques, magiciens… Tous sont, pour le peintre allemand, les acteurs d’un monde dans lequel sont joués deux auteurs”‰: la vie et la guerre.

«Quand on regarde tout ce qui se passe autour de nous – la guerre et la vie – comme la scène du théâtre de l’éternité, tout devient plus facile à vivre et à supporter », écrivit Max Beckmann le 12 septembre 1940.
Pendant ses années noires à Amsterdam, comme pendant les années difficiles qu’il traversa après la Première Guerre mondiale, l’artiste multiplia dans ses œuvres les références au monde du théâtre, du spectacle et de la nuit. C’est dans ces mondes illusoires et fantastiques qu’il se réfugia et qu’il parvient à transcender la réalité.

Clowns, saltimbanques et trapézistes
Pour Max Beckmann, le réel était le lieu de tous les leurres et de toutes les illusions et, dans le même temps, la seule source d’où il était possible d’extraire la vérité. Dans le catalogue de l’exposition du Centre Pompidou, Didier Ottinger rappelle qu’à l’instar des poètes romantiques, l’artiste était plongé dans un état de « somnambulisme lucide », un état de conscience propice à l’apparition de mythes et de symboles. Brouillant volontairement les limites entre la raison et la déraison, il créa un monde illusoire, un véritable spectacle dans lequel s’agitent des personnages qui oscillent entre le rêve et la réalité. Mais qu’ils soient acteurs, danseurs, magiciens ou saltimbanques, ils sont confrontés à leur impuissance, à leur vacuité et à leur solitude.
Dans les triptyques, les personnages sont cloisonnés dans des panneaux indépendants, chacun dans un espace-temps différent. Ils sont enfermés dans leur soliloque, assujettis au rôle qui leur a été donné.
Même l’acrobate dans Acrobate sur un trapèze (1940) semble avoir perdu toute sa gaieté et son agilité. Recroquevillé sur lui-même, à l’étroit sur son trapèze, écrasé par la limite supérieure du tableau, il est prisonnier de ses propres cordes. Alors qu’on devrait s’attendre à le voir s’envoler dans les airs, il semble au contraire prêt à chuter.

Représenter les coulisses de sa propre vie
Personnage parmi les autres, Max Beckmann se déguise lui aussi, et fait partie du spectacle qu’il met en scène. Dans les triptyques, il se fait roi, Arlequin, Pierrot ou magicien. À plusieurs reprises, comme dans Dans le wagon de cirque (1940), il se représente en nain difforme, probablement en référence au discours d’Hitler qui avait classé l’artiste parmi les « nains de l’art ».
Dans ses autoportraits aussi, l’artiste se donne un rôle. Portant souvent un smoking, fumant une cigarette, adossé à une chaise, il se peint dans les loges d’un théâtre, en tant que spectateur. Le théâtre qu’il observe froidement, on le devine, est celui de la vraie vie. Le personnage Max Beckmann représenté dans l’autoportrait devient alors le symbole de lui-même, le théâtre de soi. Dans Autoportrait dans un bar (1942), le personnage appartient au monde du spectacle autant qu’à celui de la réalité : il est en transition entre les deux polarités.
Très importante dans l’œuvre de Max Beckmann, la notion de passage entre le réel et l’illusion du réel est suggérée à plusieurs reprises. Elle est notamment symbolisée par les scènes en coulisses. C’est en effet là que l’acteur change d’identité, quitte la vie réelle pour rejoindre le spectacle.
Dans l’aquarelle Deux Danseuses (Femmes avec nain bleu), réalisée en 1947, deux jeunes femmes en tenue légère sont en coulisses, et se préparent à monter sur scène. Déguisé en nain clown, l’artiste regarde les danseuses dans cet espace de transition, où il ne fait lui-même que passer.
Autres symboles du passage et de la transition, les fenêtres, les portes et les miroirs sont omniprésents dans l’œuvre de Beckmann. S’ils sont des cadres qui encerclent et emprisonnent les personnages, ils sont aussi une lueur d’espoir, une ouverture sur une autre vie, la possibilité d’une autre voie. « Il faut beaucoup de miroirs pour voir derrière le miroir » écrivait l’artiste le 7 juillet 1949 dans son journal.

L’artiste, créateur d’un nouveau monde
Metteur en scène, acteur et spectateur de la « folie spectacle », de la guerre et de la vie, l’artiste fait de la vie une parabole éternelle. Mais s’il semble omniprésent dans ses œuvres, il laisse aussi une grande place au spectateur. C’est à ce dernier de déchiffrer son travail, de retrouver le fil de la narration et de comprendre le message transcendantal.
L’artiste, « véritable créateur d’un monde qui n’existait pas avant qu’il ne le fasse exister », est le prophète qui lui montre le chemin. Comme dans cet autoportrait intitulé Le Roi (1933-1937), où il porte une fois encore une couronne, il garde la tête haute et affirme son pouvoir et sa responsabilité sociale.
À la différence de nombre de ses contemporains, dont August Macke, Franz Marc, Otto Dix ou George Grosz, Max Beckmann a non seulement survécu aux horreurs de la guerre, mais il n’a jamais perdu son élan créatif. Pour se protéger, il a inventé et mis en scène un monde fantastique dans lequel il a exprimé ses peurs, sans jamais cesser d’interroger la vie. Dans son ultime triptyque, Argonautes, achevé la veille de sa mort, le 27 décembre 1950, il représenta des artistes en quête de sens et de connaissances. Un hommage à la vie.

Biographie

1884 Naissance à Leipzig en Allemagne. 1899-1903 Études d’art à l’Académie de Weimar. 1914 Son engagement dans les services sanitaires de l’armée allemande le plonge dans la dépression. 1920 Développe une symbolique faite de religion et de mythologie. 1933 Professeur d’art à Francfort, il est démis de ses fonctions par les nazis. 1937 Classé peintre dégénéré par Hitler, il est contraint de s’exiler à Amsterdam. 1947 Il obtient un poste à la Washington University Art School de Saint Louis, puis à l’Art School du Brooklyn Museum à New York. 1950 Décès de Beckmann à New York.

Informations pratiques Exposition « Max Beckmann à Amsterdam, 1937-1947 », du 6 avril au 19 août 2007. Commissaire”‰: Beatrice von Bormann musée Van Gogh, Paulus Potterstraat, Amsterdam, Pays-Bas. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, le vendredi jusqu’à 22 h. Tarifs”‰: 10 € et 2,50 €, tél. 00 31 (0) 20 570 52 52, www.vangoghmuseum.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°591 du 1 mai 2007, avec le titre suivant : Max Beckmann à cheval entre le réel et l'illusion

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