Majoliques en quarantaine

Effets pervers de la législation italienne

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 603 mots

En Italie, les lois actuelles concernant l’archéologie sont un obstacle majeur à l’étude des majoliques, selon John Mallet, l’un des experts mondialement reconnus dans ce domaine. L’exposition organisée par le Fitzwilliam Museum, à Cambridge, lui fournit l’occasion de rappeler qu’une remise en ordre de ce champ d’études est devenue nécessaire.

LONDRES (de notre correspondante) - Les collections de majoliques du Fitzwilliam Museum de l’université de Cambridge se classent juste derrière celles du Victoria and Albert Museum et du British Museum. Parallèlement aux 275 objets exposés, sur les 550 pièces que possède le musée, est présentée.une sélection de livres illustrés et de gravures, utilisés par les peintres de majoliques comme ouvrages de référence pour leurs décors.
 
L’exposition commence par la majolique médiévale tardive de l’Ombrie, du Latium et de la Toscane, puis suit son développement en Ombrie et en Toscane, de 1450 à 1550. La troisième section s’intéresse aux éléments de décoration utilisés pendant la Renaissance : feuillages, grotesques, rinceaux, entrelacs et "portraits". À la majolique historiée de Faenza, Urbino, Pesaro et Venise s’ajoutent les céramiques blanches à décors sommaires de Faenza, ainsi que les décors de grotesques dans le style d’Urbino, datées de 1570 à 1650. Pour finir, une section est consacrée à la majolique de Ligurie, de Lom­bardie, des Abruzzes, des Pouilles, de Campanie et de Sicile, de 1650 à 1900.

Pour John Mallet, ancien conservateur des céramiques au Victoria and Albert Museum, nombre de pièces mises au jour en Italie sont tenues secrètes par crainte de les voir confisquées. La loi italienne stipule en effet que toutes les découvertes archéologiques – même les tessons… – sont la propriété de l’État. John Mallet pense, au contraire, que l’inventeur devrait être légalement autorisé à tirer un profit de ses découvertes, comme c’est le cas en Grande-Bretagne et en France.

Ainsi, non seulement l’État italien pourrait-il contrôler une activité aujourd’hui clandestine, mais notre connaissance des majoliques y gagnerait beaucoup. Car les études qui les concernent sont devenues bien plus complexes qu’autrefois. Dans les années cinquante, le célèbre marchand Alfred Spero avait coutume de dire : "Si vous ne savez pas ce que c’est, alors ça vient de Faenza". Mais du fait des découvertes archéologiques, du renouvellement de la recherche à partir des archives et du réexamen critique des grandes collections des musées, il n’est plus possible aujourd’hui d’attribuer les trois-quarts des majoliques connues à Faenza.

Des majoliques cachées dans les coffres suisses
Un grand nombre de faïences de la fin du XVe siècle à celle du XVIIe siècle proviennent de Faenza, mais d’autres villes ont fourni, à différentes époques, des œuvres de plus grande qualité. En outre, les majoliques des XVIIe et XVIIIe siècles attirent désormais les collectionneurs et ne sont plus considérées comme mineures, comparées à celles de la Renais­sance. Les théories classiques de Rackham, Ballardini et Liverani se trouvent dépassées à un point tel qu’une remise en ordre de ce champ d’études est devenue nécessaire.

Malheureusement, comme on l’a vu pour des raisons légales, mais également fiscales, les importantes collections de majoliques constituées ces dernières années par les Italiens ne sont pas accessibles… Les collectionneurs ont si peur de montrer leurs pièces aux spécialistes – pour le cas où elles se trouveraient cataloguées et ne pourraient donc plus être vendues librement – qu’ils préfèrent les conserver dans les chambres fortes des banques suisses. "Possession et étude ont été dissociées en Italie à un point effrayant, à la différence de la Grande-Bretagne et des États-Unis, où les collectionneurs sont très ac­cueil­lants", ne peut que déplorer John Mallet.

MAJOLIQUES ITALIENNES, Fitzwilliam Museum, Université de Cambridge, jusqu’au 7 janvier. Catalogue en préparation, Cambridge University Press.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Majoliques en quarantaine

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