Histoire

Maîtres du feu et du fer

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 novembre 2019 - 609 mots

L’exposition « Frapper le fer » au Musée du quai Branly explore l’utilisation ancestrale de ce matériau sur le continent africain.

L’or luit et fascine. À côté de lui, le fer, qui rouille, qui s’émousse, pourrait faire triste figure. L’or est rare et précieux. Le fer est l’une des ressources les plus élémentaires de la planète. Mais précisément : il est présent aussi bien dans le sol, les plantes, les animaux, dont il oxygène le sang, que dans le noyau de la Terre. Et voilà qu’il y a quelque 3 000 ans, les hommes devenus maîtres du feu ont extrait des roches ce métal constitutif de la vie terrestre pour le frapper et lui donner forme. Bientôt, le fer devient un outil indispensable dans un quotidien qu’il a bouleversé, et une expression de l’âme des civilisations. « En comparaison, il y a presque cinquante ans, alors que j’apprenais à forger en Amérique, ce scénario n’était plus du tout d’actualité. La profession était en net déclin, et lorsque je soulevai mon premier marteau, la plupart des aînés qui auraient pu devenir mes mentors avaient déjà rendu leur tablier », explique l’artiste et forgeron Tom Joyce, commissaire de l’exposition « Frapper le fer » au Musée du quai Branly. « Par la suite, j’ai recherché des lieux où les forgerons étaient encore utiles, voire indispensables à leur communauté. Cette quête m’a invariablement conduit en Afrique subsaharienne. À ce jour, peu d’endroits entretiennent encore une relation aussi forte avec le fer – comme matériau –, lien chargé de substance et de pouvoir métaphorique. »

L’âme des peuples d’Afrique

Ainsi, à travers deux cent cinquante pièces exceptionnelles, originaires de plus de cent peuples différents d’Afrique, l’exposition « Frapper le fer » explore comment le travail du fer façonne les cultures de ce continent depuis 2 500 ans jusqu’à aujourd’hui, où cet art ancestral demeure intact et florissant. Grâce à lui, on fait pousser et on récolte les cultures, on chasse les animaux et arme les guerriers, on pare les corps, on organise les rites de passage. On joue de la musique aussi, comme on invoque les ancêtres, honore les morts, identifie les chefs et prie les divinités. Hier comme aujourd’hui, un marteau frappe l’enclume et forge le métal chaud jusqu’à faire surgir les formes les plus inventives et les motifs les plus fins.

Parmi les pièces les plus anciennes présentées dans l’exposition, une petite figure en fer, forgée au XVIIe ou au XVIIIe siècle par les peuples Kuba/Bushoong de l’actuelle République démocratique du Congo. Pourquoi ses doigts, recourbés avec élégance, sont-ils si grands, si longs ? Peut-être est-ce pour célébrer la puissance et la délicatesse de cette main humaine, qui s’est rendue maîtresse du feu et du fer… On s’étonne en effet de la dextérité et de la force subtile des mains des forgerons qui ont su fabriquer les objets les plus délicats (haches cérémonielles perforées, comme des réminiscences de toile d’araignée, bâtons d’herboristes semblables à un arbre où se posent des oiseaux, ou lances anthropomorphes dont les figures féminines ouvrent les mains vers le ciel, de part et d’autre de leur nombril proéminent).

Chaque objet porte en lui un monde. Ainsi, les lances anthropomorphes, fabriquées à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle par le peuple Bamana, au Mali, et fichées sur les tombes des chefs ou devant les maisons des notables pour honorer les ancêtres, étaient utilisées comme insigne familial et brandies pour arrêter les conflits armés. Plantées dans la terre autour des aires de danse pendant les rites d’initiation et les funérailles, elles pouvaient aussi être cachées à l’intérieur des sanctuaires ou des grottes sacrées de ces sociétés d’initiation. Ces fers portent en eux l’âme d’un peuple.

« Frapper le fer. L’art des forgerons africains »,
jusqu’au 29 mars 2020. Musée du quai Branly Jacques Chirac, 37, Quai Branly, Paris-7e. Tous les jours de 10 h 30 à 19 h, jusqu’à 22 h le jeudi, fermé le lundi. Tarifs 10 et 7 €. Commissaire : Tom Joyce. www.quaibranly.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°729 du 1 décembre 2019, avec le titre suivant : Maîtres du feu et du fer

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