musée

L’or des chamanes

Par Laure Meyer · L'ŒIL

Le 1 avril 2000 - 462 mots

Il a fallu plusieurs siècles et beaucoup de pillages pour que soit entrepris le sauvetage des innombrables objets d’or que recelait le sol de Colombie. C’est en 1939 qu’a été fondé pour les conserver le Museo del Oro de Bogota. De ses 15 000 objets formant la plus grande collection du monde dans ce domaine, 300 sont maintenant exposés à Paris. Capable de rendre fous les conquistadors espagnols arrivés en 1536, cet or n’a jamais eu pour les indigènes de valeur commerciale. Assimilé au soleil, il était porteur de son énergie, de ses facultés créatrices. Sous forme de parures, ornements, amulettes, offrandes religieuses et symboles de prestige, il intervenait dans tous les cultes, cérémonies rituelles et funéraires. Il accompagnait les défunts dans leurs tombes. Dans la localité de Dabeiba, il y avait même un temple à toiture en or dédié à la déesse des orages. Tout ceci, on le savait déjà. L’intérêt de cette nouvelle exposition est de se situer à un autre niveau, celui des croyances, révélant le pourquoi et le comment de ces cultes. Sous le nom de « caciques », des princes indigènes détenteurs d’une autorité sacrée sont décrits dans les chroniques espagnoles dès 1553. À côté d’eux, voici maintenant la figure du chamane, infiniment plus mystérieuse, qui émerge, reliant la vie des indigènes aux mythes et aux cérémonies dont les objets d’or sont les vestiges. Les rituels qui ont été à l’origine de leur création avaient cours dans les Andes du nord entre 1000 av. J.-C. et 1500 après J.-C. Ils évoquent un univers peuplé d’une infinité d’esprits de la nature et des ancêtres morts. Le chamane est le prêtre qui entre en contact avec eux en se parant d’or. Durant ses périodes de transes, il devient l’homme-animal, homme-jaguar, homme-oiseau, et surtout homme-chauve-souris, vampire qui en dormant la tête en bas voit le monde à l’envers. Pour
parvenir à cet état extatique de vol chamanique, les chamanes avaient recours à l’ingestion de plantes psychotropes. Spécialisés dans les rites funéraires, certains d’entre eux avaient aussi pour mission de neutraliser le pouvoir des morts et d’éviter leur retour parmi les humains. Devenu le médiateur des mondes occultes, des rapports entre les vivants et l’au-delà, le chamane apparaît finalement comme
le garant de l’équilibre des forces contradictoires du cosmos. Tel est l’extraordinaire message transmis par les cultures préhispaniques de Colombie à l’attention de ceux qui voudront bien le déchiffrer. Notre esprit profondément cartésien saura-t-il pour une fois renoncer à une vision scientifique afin d’aborder l’espace intersidéral qui nous est proposé ? N’oublions pas que « Le jaguar est l’animal qui possède le pouvoir du soleil et le chamane est l’homme qui possède le pouvoir du jaguar ».

PARIS, Grand Palais, 6 avril-10 juillet, cat. RMN, 360 p., 210 ill., 280 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°515 du 1 avril 2000, avec le titre suivant : L’or des chamanes

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