ART CONTEMPORAIN

Liz Magor, les objets affectifs

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 29 mars 2018 - 518 mots

Découverte en France à la Friche de la Belle de Mai et exposée au Crédac, l’ artiste canadienne installe son univers semé d’objets du quotidien au Mamac à Nice.

Nice. De la scène artistique de Vancouver, on retient la glorieuse aventure du photo-conceptualisme. À l’ombre de ses hérauts, Jeff Wall ou Rodney Graham, Liz Magor (née en 1948) développe depuis les années 1970 une esthétique modeste à rebours des canons élaborés par ses acolytes masculins. À la distance conceptuelle d’images construites, l’artiste canadienne préfère des environnements d’artefacts qui nous sont proches.

L’univers de Liz Magor est le produit d’une histoire affective avec des objets et c’est à travers leur médiation qu’elle envisage son rapport au monde. L’installation One Bedroom apartment (1996-2017), qui accueille le visiteur au Mamac (Musée d’art moderne et d’art contemporain) de Nice, en est l’affirmation programmatique. Pour chacune de ses occurrences, l’artiste assemble des objets glanés à proximité des lieux dans lesquels elle réactive sa pièce. Les cartons de cette « installation » (est-ce l’artiste qui s’installe ?) manifestent-ils un emménagement ou bien sont-ils là en vue du démontage ?

Entre occupation des lieux et abandon, l’exposition de Liz Magor est un univers sans corps. L’humain la hante pourtant par les empreintes qu’il semble y avoir laissées. Cette robe à pois suspendue ou cette cigarette qui n’en finit pas de se consumer en sont les traces. Les cendres qui en tombent mesurent la profondeur du temps dans lequel tous ces témoins historiques nous replongent. Des mains gantées, une veste de cuir négligemment posée sont autant de fantômes dont les peaux font vibrer l’atmosphère de leur présence absente. Quitte à s’y méprendre : ces surfaces ne sont pas en cuir, mais en plâtre, moulées sur le vif… Dans ce trouble du regard se manifeste la résistance de nos sentiments à l’épreuve du réel. C’est peut-être ce que tentent de nous dire toutes ces peluches (des sculptures ?) et oiseaux taxidermisés (sont-ils endormis ?), qui jalonnent le parcours.

 

 

Une fragilité enveloppée

Comme pour protéger ce bestiaire de chambre d’enfant et ces corps absents, sacs en plastique, couvertures et autres enveloppes sont omniprésents. Sous ces doubles peaux, cigarettes et bouteilles d’alcool forment les étais gonflants de l’intérieur des sculptures qui, à notre image, sont aussi fragiles que peuvent l’être des tas de chiffons. Les substances addictives forment les murs de soutènement nous permettant de négocier avec le réel. Comme ces cartons moulés et posés en équilibre instable qui montrent la fragilité d’une œuvre au bord de l’effondrement.

Alors, ce réel, aussi factice soit-il, Liz Magor l’enduit d’une douceur nacrée comme pour l’apprivoiser. Mais de ce rose bonbon sourd une violence qui vient imprimer sa morsure par endroits. Présentés pour la première fois en France, plusieurs « Sleepers » (1999) jonchent le sol de l’expo. Cocons ou linceuls ? L’image de ces bébés emmaillotés, dont seule la crinière dépasse, pourra glacer d’effroi un observateur que ces choses renvoient à leur ambiguïté : des sculptures fonctionnant comme des interfaces affectives.

 

 

 

 

Liz Magor,

 

 

jusqu’au 13 mai, Musée d’art moderne et d’art contemporain, Place Yves Klein, 06000 Nice.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : Liz Magor, les objets affectifs

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