Art moderne

XIXE SIÈCLE

L’image d’Épinal, une source d’inspiration

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 13 février 2019 - 660 mots

EPINAL

Le Musée de l’image montre l’importance de l’estampe populaire dans la vie quotidienne, et envisage son influence sur l’école de Pont-Aven.

Épinal (Vosges).« Quelques études restaient accrochées au mur, un tonneau sculpté par lui gisait à terre ; sur une table sale de vieux tubes de couleur et quelques images d’Épinal. » C’est ainsi que le peintre Maxime Maufra décrivit l’atelier abandonné par Gauguin au Pouldu en novembre 1890. Ce témoignage, cité par Martine Sadion, conservatrice en chef du Musée de l’image à Épinal, dans le catalogue de l’exposition « Images sur les murs » dont elle est la commissaire, résume son propos. Elle y montre comment les images populaires accompagnaient la vie quotidienne jusqu’à la fin du XIXe siècle et ouvre un chantier de recherche sur l’influence qu’elles ont pu avoir sur le synthétisme et l’école de Pont-Aven.

L’exposition débute avec les parois en bois des chambres et la porte d’escalier d’une maison savoyarde de Bessans. Une trentaine d’images populaires du début du XVIIe siècle au début du XIXe siècle y sont encore collées. Il s’agit essentiellement d’images pieuses ; l’étude de chacune d’elles, détaillée dans le catalogue, ouvre des perspectives sur la vie sociale, politique et religieuse du temps. On mesure la porosité entre les formes d’art : ces xylographies et tailles-douces s’inspiraient des œuvres de grands artistes du passé et du présent, accessibles aux imagiers par la gravure.

Courbet et Gauguin s’y intéressent

La partie consacrée au XIXe siècle, à la scénographie très réussie, mêle aux estampes des toiles ou des reproductions de peintures montrant les intérieurs modestes ornés d’images. L’école d’Écouen, formée autour du peintre Pierre Édouard Frère (1819-1886), s’en est fait une spécialité, et la même inspiration se retrouve chez les artistes représentant des intérieurs bretons tel Jean-Marie Villard (1828-1899). Sur les murs et les boiseries de leurs tableaux, on voit des almanachs, des récits ou chansons illustrés et des images pieuses. Certains thèmes, comme celui du Juif errant [voir ill.], perdurent longtemps dans la production de différents imprimeurs.

On sait que Gustave Courbet s’est inspiré de ces images du Juif errant pour sa toile Bonjour Monsieur Courbet (1854). Cependant, l’analyse de la place de l’imagerie dans la formation esthétique des populations et des artistes au XIXe siècle reste à faire. L’historien de l’art Jean Adhémar a relevé les mentions qui sont faites de l’« image d’Épinal » (c’est depuis longtemps le terme générique pour désigner l’imagerie populaire en général) dans la littérature, attestant de sa présence dans les intérieurs modestes et même bourgeois. Pour de nombreux critiques d’art fréquentant les Salons, elle était un repoussoir, mais les peintres à la recherche de nouvelles formes d’expression pouvaient s’en inspirer. La vogue de l’estampe japonaise, qui utilise une grammaire stylistique proche (motifs cernés d’un trait ; couleurs vives posées en aplat au pochoir, souvent décalées par rapport au dessin ; perspective redressée), a renouvelé l’intérêt de certains artistes pour l’imagerie populaire européenne.

C’est sur ce point que Martine Sadion attire l’attention dans la dernière partie de son exposition. L’idée n’est pas nouvelle : Clément Siberchicot l’a évoquée, à propos du Faucheur (1887) de Louis Anquetin, dans son livre sur l’exposition Volpini de 1889. Martine Sadion va plus loin en recherchant les correspondances entre la production des artistes de l’école de Pont-Aven et l’imagerie bretonne. Elle rapproche ainsi L’Adoration des bergers (1889) d’Émile Bernard d’une estampe rennaise de 1824 intitulée Naissance du Sauveur, et Le Christ jaune (1889) par Paul Gauguin de Jésus sur la croix, image d’Épinal de 1824.

On peut aussi voir dans La Belle Angèle (1889) de Gauguin l’écho de la représentation des saintes dans un médaillon, à l’exemple de Sainte Rose, image rennaise du milieu du XIXe siècle présentée dans l’exposition, ou dans Le Pardon de Notre-Dame-des-Portes à Châteauneuf-du-Faou (1894) de Paul Sérusier un rappel du Chemin du paradis (entre 1838 et 1845), image de la veuve Pierret de Rennes dont Georgin, à Épinal, a aussi donné sa version. Le sujet est vaste et les recherches restent à mener.

Images sur les murs, de Bessans à Pont-Aven,
jusqu’au 29 septembre, Musée de l’image, 42, quai de Dogneville, 88000 Épinal

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : L’image d’Épinal, une source d’inspiration

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