Deux grandes expositions pour le futur hôte de la Biennale de Venise

L’expérience de l’au-delà

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 25 janvier 2010 - 670 mots

L’art de Christian Boltanski, depuis le tout début de la carrière de l’artiste, s’offre à voir comme une interrogation sur l’être. Nouvelle preuve avec l’installation « Après » au Mac/Val.

Pleinement liée à celle du Grand Palais, l’exposition que Christian Boltanski a conçue pour le Mac/Val se doit d’être appréhendée comme le second volet d’un ensemble à l’intérieur duquel il invite le visiteur à se situer. Le choix qu’il a fait de la désigner du nom d’« Après » est explicite de l’ordonnancement dans lequel il a pensé ces deux manifestations. « Les arts visuels, dit l’artiste, sont un art de l’espace, tandis que le théâtre est un art du temps. Pour ce projet, j’essaie de combiner le temps et l’espace afin de créer une sorte de progression. » L’intention est claire et la relation à l’idée générique de spectacle, parfaitement assumée.

À Vitry, le visiteur est invité à pénétrer dans l’espace investi par l’artiste en franchissant l’un des trois rideaux qui y mènent et sur lesquels une bande filmée de foules anonymes est projetée. À peine s’apprête-t-il à passer de l’autre côté et à entrouvrir le rideau que la projection se fige. Il entre alors dans une installation plongée dans la pénombre dont il devient tout à la fois le spectateur et l’acteur. Celle-ci présente tous les aspects d’une ville fantôme, et les éléments d’architecture qui la composent se dressent devant lui comme d’étranges et utopiques constructions, recouvertes de simples bâches en plastique noires. D’un dessin très sommaire, comme en dessinent les enfants, elles ont l’allure tant d’architectones façon Malevitch que de maisons de terre d’un village africain au beau milieu desquelles semblent errer des êtres hybrides. Faits d’un simple portant en bois surmonté d’un grand manteau noir, ceux-ci sont nantis de tubes de néon de couleur blanche en lieu et place de leurs membres.

L’art ou la vie
Quelque chose d’étrange est à l’œuvre dans cette installation de Boltanski qui ne suscite cependant aucun effroi, mais opère en attraction sur le visiteur qui est invité à déambuler parmi cette curieuse armée des ombres. D’autant plus que celles-ci l’interpellent, lui parlent, le questionnent et qu’il lui est difficile de résister à tendre l’oreille parce que les sujets abordés sont ceux-là mêmes qui le taraudent depuis la nuit des temps.
 
Quoique statiques, Les Hommes qui marchent de Boltanski – la référence à Giacometti est flagrante et l’artiste ne s’en cache pas – confèrent à son installation une dynamique vitale. D’où venons-nous  ? Que sommes-nous  ? Où allons-nous  ?, s’interroge le titre d’une œuvre manifeste de Gauguin. Ce sont ces questions-là que pose Boltanski. Qu’il se pose depuis ses tout premiers travaux. Que toute son œuvre, quelle que soit la forme qu’elle prenne, n’a de cesse d’énoncer. Des questions essentielles et pour tout dire existentielles, sur l’être et sur sa destinée.

En matière de création artistique, Christian Boltanski aime à considérer qu’il y a deux grandes familles : d’un côté, les artistes qui questionnent l’art  ; de l’autre, ceux qui interrogent la vie. Manet, Picasso, Giacometti, Bacon sont de cette dernière. Boltanski en est aussi, et l’installation au Mac/Val en est une nouvelle formulation.
 
« Être vivant, c’est savoir qu’on va mourir », dit volontiers l’artiste. Dans cette qualité de pensée, cette œuvre est une invitation à faire l’expérience d’un monde imaginaire, celui de l’au-delà. Si, à la façon d’Artaud et de Beckett, la part d’énigme, d’absurde et de dérisoire qui règle la plupart des œuvres de Christian Boltanski nous aide en cela, c’est parce qu’elles ne se privent jamais ni de ces petites sensations, ni de ces petites émotions qui font le vivant.

Biographie

1944
Naît à Paris.

1958
Autodidacte, il commence à peindre.

1968
Expérimente de nouveaux matériaux et joue avec les codes autobiographiques.

1972
Sa participation à la Documenta de Kassel lance sa carrière internationale.

1984
La Shoah devient un thème prépondérant.

1988
Utilisation du vêtement.

1993
Importance de la liste et de l’archivage dans ses créations.

2010
Horloge parlante, installation pérenne à la cathédrale de Salzbourg, en Autriche.

Autour des expositions

Infos pratiques. « Personnes », jusqu’au 21 février. Grand Palais, Paris. Lundi et mercredi de 10 h à 19 h ; 22 h du jeudi au dimanche. Tarifs : 4 et 2 €. www.monumenta.com
« Après », jusqu’au 28 mars. MAC/VAL, Vitry-sur-Seine. Tous les jours sauf le lundi de 12 h à 19 h. Tarifs : 5 et 2,5 €. www.macval.fr
 
Boltanski défie la mort. À 65 ans, l’artiste a vendu en viager son « œuvre ultime » au collectionneur tasmanien David Walsh.
Depuis janvier, et jusqu’à la mort de l’artiste, quatre caméras filment nuit et jour son atelier situé à Malakoff. Ces images sont retransmises en direct dans une caverne en Tasmanie et stockées sur DVD. L’acquéreur ne pourra pas les exploiter du vivant de l’artiste. Ce pari macabre trouvera son issue dans huit ans : si Boltanski décède pendant ce laps de temps, Walsh sera gagnant ; au-delà, l’artiste remportera sa « partie contre le diable ».

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : L’expérience de l’au-delà

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