Les projets se mettent à l’œuvre

À Genève, les architectes invitent à habiter l’image

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 13 septembre 2002 - 635 mots

Basée sur les avancées de l’outil informatique dans le domaine architectural, l’exposition « L’image habitable » regroupe à Genève cinq agences (Diller & Scofidio, Décosterd & Rahm, Hiroyuki Futai, MVRDV, R&Sie...) autour de la présentation de leurs travaux. À la fois études, maquettes, fictions ou manifestes, de courts films, réalisés par ordinateur, montrent le projet architectural à mi-chemin entre l’œuvre et l’utopie.

GENÈVE - Simultanément descriptif et spéculatif, le dessin d’architecture s’assimile à un objet hybride qui peut également être considéré pour lui-même : une œuvre plastique, un scénario, une fiction plus ou moins viable, ou un manifeste. C’est ce versant, proche du champ de l’art contemporain, qui est au centre de l’exposition inaugurale du cycle “L’image habitable” entrepris par le Centre pour l’image contemporaine de Saint-Gervais, installé à Genève. Intitulé “Inhabit the Corner”, la pièce d’angle du Japonais Hiroyuki Futai créée pour l’occasion est un parfait exemple de ce chevauchement. Ouvrant le parcours, l’œuvre se situe entre l’installation et le projet, la sculpture et la maquette. Diffusé à partir d’un vidéo projecteur, le motif infographique creuse sur les murs et le sol un espace mutant et organique en constante évolution, tel un origami virtuel. Plaquée sur un mur, l’image devient pratiquement pénétrable. De décor, elle se transforme en percée, fenêtre ouverte sur une utopie parfois réalisable (le projet architectural). Développée par le critique et architecte Nikola Jankovic, commissaire de l’exposition, cette notion d’”image habitable” est amplifiée par la scénographie commune aux cinq agences invitées : une moquette blanche, baptisée “drive-in carpet”, qui court du sol au plafond, liant métaphoriquement espace réel et surface de projection.

Sur cet écran, R&Sie... joue du morphing pour faire surgir illusions et bâtiment. Outre leur projet (Un)plug – une tour pour l’EDF à la Défense –, les Français présentent la genèse de leur ferme mutante pour le village d’Evolène, en Suisse. Comme souvent chez François Roche, le bâtiment s’implante dans son paysage en découlant des textures de l’image, manipulée progressivement par le biais d’un logiciel graphique. Le film de présentation du Eyebeam Building, centre d’art et de technologie new-yorkais imaginé  par les Américains Diller & Scofidio (date d’achèvement prévue : 2006), permet une visite du bâtiment en temps accéléré et à partir de quatre points de vue simultanés. Quant à Décosterd & Rahm, qui représentent actuellement la Suisse à la Biennale d’architecture de Venise, ils profitent de l’occasion pour montrer la commande qui leur a été passée par l’artiste Fabrice Hybert. Située dans une forêt vendéenne, la “Maison d’hiver” est un enclos géographique qui correspond en temps réel au climat tahitien. Au centre de ce bloc, dévolu murs et âme à la climatisation, une serre fait office de chaufferie. C’est autour d’elle que tout s’organise, la vie comme le film de démonstration du projet qui débute par une plongée au sein des canalisations d’air. Un peu plus ancienne (2000), la Pig City des Hollandais de MVRDV n’en est pas moins innovante. “Une manière d’étudier les chiffres se fait à travers l’usage de scénarios ‘extrêmisants’, explique Winy Maas, un des fondateurs de l’agence. Ils conduisent aux frontières, aux limites, de fait, à l’invention”. Ici, les Bataves partent de la croissance exponentielle de consommation de cochons aux Pays-Bas pour faire naître un nouvel urbanisme, articulé autour de gigantesques tours de 622 mètres de haut. Implacable, la vidéo qui accompagne l’étude aligne données et cochons à perte de vue, le tout dans une grammaire visuelle à faire pâlir n’importe quel film d’entreprise. À terme, un peu moins d’une centaine de ces raffineries à charcuterie devraient s’implanter dans le plat pays, répondant ainsi à la demande interne et externe. Le pragmatisme et la logique capitaliste poussés à leur paroxysme.

- L’IMAGE HABITABLE, VERSION A, jusqu’au 13 octobre, Centre pour l’image contemporaine, 5 rue du Temple, Genève, tél. 41 22 908 20 69, www.centreimage.ch

Cinq agences visitables en ligne

Misant sur les capacités de l’outil informatique, les cinq agences présentes à Genève offrent bien entendu une vitrine sur Internet. Pour approfondir projets et théories, on peut visiter les sites de Hiroyuki Futai (www.f-tai.com), R&Sie (www.new-territories.com), MVRDV (www.mvrdv.archined.nl), Diller & Scofidio (www.dillerscofidio ou, pour le Eyebeam Building, www.eyebeam.org) et de Décosterd & Rahm (www.low-architecture.com).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°154 du 13 septembre 2002, avec le titre suivant : Les projets se mettent à l’œuvre

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