Céramiques

Les peintres aux mains de terre

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 4 septembre 2012 - 747 mots

Le Musée d’art moderne de Troyes célèbre ses trente ans avec une présentation monumentale de la collection Larock-Granoff de céramiques de peintres du XXe siècle.

TROYES (AUBE) - En 1982 naissait le Musée d’art moderne de Troyes, à la faveur de la donation exceptionnelle des collections d’art moderne des industriels troyens Pierre et Denise Lévy. Ces donateurs et fondateurs font aujourd’hui l’objet d’un hommage détourné, à l’occasion du trentième anniversaire de l’institution : pendant six mois, le musée accueille un autre ensemble privé français des plus prestigieux, la collection Marc et Pierre Larock-Granoff. Faut-il le rappeler ? La galerie fondée par Katia Granoff en 1926, dont l’enseigne a depuis été rebaptisée Larock-Granoff, est bien connue du marché de l’art parisien – les œuvres des artistes de l’École de Paris parmi lesquels Chagall et Othon Friesz, mais aussi celles de Bonnard et Vuillard furent parmi les premières à orner les cimaises de l’espace du Quai Conti. En rachetant la collection d’un amateur à la fin des années 1980 – un ensemble réunissant des céramiques signées des hérauts de l’art moderne français – les descendants de la galeriste n’ont pas uniquement fait preuve de flair ; ils se sont convertis doucement, mais sûrement, à l’art de la céramique et ont poursuivi leurs achats.

L’idée originale d’Olivier Le Bihan, directeur du Musée d’art moderne depuis fin 2009, fut de revoir intégralement la muséographie des collections permanentes en orchestrant une confrontation tout au long du parcours entre les pièces en céramique Larock-Granoff (auxquelles s’ajoutent celles du fonds permanent) et les tableaux d’art moderne du fonds muséal. Ce à grand renfort de vitrines spécialement conçues et de cimaises aux couleurs explosives (rose fuchsia, orange, rouge, vert amande…). L’ensemble est si probant qu’il dépasse la mise en regard. Il s’agit davantage d’une intégration, d’une fusion qui aurait toujours existé.

Vers une gamme majeure

« La chanson est un art mineur », disait Serge Gainsbourg… Il en est de même pour la céramique aux yeux du plus grand nombre. Un préjugé que cette exposition n’est pas la première à s’efforcer de combattre, à l’instar du marchand Ambroise Vollard qui, au début du XXe siècle, s’associe au potier André Méthey et convainc ses poulains de tâter de la terre cuite. L’un des exemples les plus émouvants de cette collaboration est le service Haviland peint à la main par Georges Rasetti d’après des aquarelles de Vuillard, présenté en 1895 à la galerie de Siegfried Bing. Les traces d’usage rendent chaque pièce unique d’autant plus vivante. À l’exception de quelques collectionneurs éclairés, l’idée de Vollard ne connut aucun succès commercial, mais elle rencontra un enthousiasme sans égal auprès des artistes. Ainsi André Méthey est-il omniprésent dans la majeure partie de l’exposition. Son talent fut requis pour mettre en valeur le travail de Renoir (Auguste et Jean), Maurice Denis, André Derain, Maurice de Vlaminck et même Matisse parmi tant d’autres – en 1996, le Musée Matisse à Nice avait déjà rendu hommage au travail du potier avec les peintres fauves. Autre figure incontournable de la poterie, l’Espagnol Josep Llorens Artigas, auquel on doit la réalisation des jardinières de Raoul Dufy, sublimées par la vue sur les jardins du musée, et l’impressionnant décor de salle de bain en carreau d’Albert Marquet.

N’oublions pas les artistes qui mettent eux-mêmes la main à la pâte, à l’exemple de Pablo Picasso, qui donne un souffle nouveau à la sculpture céramique initiée par Paul Gauguin. Certains n’ont même pas besoin d’être confrontés à leurs propres toiles pour que leurs œuvres en céramique prennent toute leur dimension, à l’image des assiettes éventrées par Lucio Fontana qui invitent le regard autant que le toucher. D’autres s’adonnent à des facéties, comme Paul Rebeyrolle créateur d’un monstre aux allures de crapaud ou Pierre Alechinsky qui imagine un livre illustré ouvert et posé à la verticale. Près de 70 artistes sont ainsi présentés à Troyes – un tour de force qui est le digne reflet de l’orientation qu’a pris le musée vers une plus grande représentation des arts décoratifs.

LA CÉRAMIQUE DES PEINTRES

- Commissaire : Olivier Le Bihan, conservateur du musée ; Anne Lajoix, docteur en histoire de l’art

DERAIN, DUFY, MATISSE, MIRÓ, PICASSO… LA CÉRAMIQUE DES PEINTRES

, jusqu’au 2 décembre, Musée d’art moderne, 14, place Saint-Pierre, 10000 Troyes, tél. 03 25 76 26 80, www.musee-troyes.com, tlj sauf lundi et jours fériés, 10h-13h et 14h-19h, 11h-19h le week-end, à partir du mois d’octobre 10h-12h et 14h-17h, 11h-18h le week-end. Catalogue, Silvana Editoriale, Milan, 350 p., 42 euros

Retour sur Sèvres

En 1894 est inauguré le Musée des arts décoratifs de Troyes où, un an plus tard, la Manufacture nationale de Sèvres dépose un premier lot de 80 porcelaines représentatives de sa production depuis le second Empire. Jusqu’en 1927, la manufacture enverra en tout près de 150 pièces, parmi lesquelles des lots techniques (moules…) ou encore des objets accidentés lors de la fabrication ou la cuisson. Aujourd’hui, le Musée Saint-Loup (où était logé à l’origine le Musée des arts décoratifs) présente les plus beaux exemples de cet illustre dépôt à l’occasion du récent récolement des collections. Rappelons l’exception dont jouit la Manufacture nationale de Sèvres : tout dépôt effectué par une institution nationale dans un musée tiers avant 1914 fait aujourd’hui partie intégrante dudit musée destinataire… à l’exception des dépôts effectués par Sèvres. Aussi les conservations de la Cité de la céramique ont-ils mené eux-mêmes le récolement des collections à Troyes. Pour cette présentation exceptionnelle (les céramiques n’ont pas d’espace permanent dans le musée troyen), les commissaires Chantal Rouquet, conservateur et directrice des lieux, et Claudie Pornin, attachée de conservation, ont opté pour un décor élégant misant sur la brillance des murs couleurs « bleu Sèvres », une approche chronologique retraçant les grandes étapes d’innovation technique et artistique de la céramique et se penchant sur les grands créateurs, le tout avec un grand souci pédagogique. L’occasion de retrouver des pièces d’exception comme le vase Dalou L’âge d’or, impressionnant malgré de larges fissures, d’époustouflantes compositions de groupes en biscuit, et l’incontournable Jeu de l’écharpe d’Agathon Léonard, emblème de l’Art nouveau.

« Porcelaine de Sèvres. Tradition et modernité », Musée Saint-Loup, rue de la Cité, tél. 03 25 42 20 09. Jusqu’au 30 décembre 2012.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Les peintres aux mains de terre

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