Dossier : les nouveaux musées

Les musées et le spectre de la bulle

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 25 janvier 2012 - 650 mots

Musée de la Grande Guerre à Meaux, Musée Soulages à Rodez, Musée des Confluences à Lyon, MuCEM à Marseille, Louvre-Lens, MuséoParc d’Alésia… La France est bel et bien entrée dans une nouvelle bulle des institutions muséales. Sans penser aux lendemains qui (dé)chantent…

Comme si la France était encore un désert muséal, chaque année égraine son lot d’ouvertures de nouveaux établissements. Ainsi pour  2011 et la seule région Provence-Alpes-Côte d’Azur, quatre nouveaux établissements ont été créés ex nihilo (au Cannet, à Menton, à Grasse et à Mougins). Un chiffre non négligeable compte tenu de la situation économique des collectivités locales, principaux financeurs de ces projets. À croire que celles-ci misent sur le musée pour redorer leur image touristique, après les années plage et promotion immobilière. Ailleurs, les chantiers en cours ou en phase d’achèvement sont encore nombreux.

Il suffit de lire le document relatif au « Plan musée », annoncé à grand renfort de communication en septembre 2010 par le ministère de la Culture, pour s’en convaincre : soixante-dix-neuf projets devraient ainsi être soutenus par l’État d’ici à 2013. Si la plupart d’entre eux ne sont que des rénovations ô combien salutaires pour de nombreux établissements ayant besoin d’être modernisés – et redynamisés –, quelques-uns sont aussi des créations ex nihilo. Et le plan ne prend pas en compte les grands projets que sont le Louvre-Lens, attendu fin 2012, ou le MuCEM de Marseille, prévu pour 2013. De quoi encore rallonger la longue liste des musées français. 

Menton, Le Cannet et même Nogent-sur-Seine à la recherche de l’effet Bilbao
Les élus locaux auraient-ils été pris d’une folie du musée ? Alors que, jadis, les provinces ont vu fleurir Zénith et leurs équivalents plus modestes, les salles polyvalentes, le musée semble désormais considéré comme le précieux sésame de l’attractivité. Il n’y aurait donc rien de plus chic aujourd’hui – et de plus plombant pour les finances publiques – que de s’offrir un musée. Cela alors que l’effet Bilbao, bientôt quinze ans plus tard – c’était en octobre 1997 –, continue de faire rêver les édiles. Qui s’interrogent : pourquoi la métropole basque, victime de la désindustrialisation, aurait réussi et pas d’autres villes ? Cela quitte à oublier le colossal investissement urbain qui a accompagné la renaissance de cette cité, dont le Musée Guggenheim n’a été qu’un élément. Mais tout le monde s’est focalisé sur l’architecture spectaculaire du bâtiment siglé d’un grand nom, l’Américain Frank Gehry, et sur la marque du musée, estampillé Guggenheim. Alors la phrase « effet Bilbao » a été susurrée jusqu’à l’ivresse dans les coulisses des conseils municipaux, généraux et régionaux, de Marseille à Lens, en passant par Metz ou de plus petites villes, nourrissant les fantasmes de chaque nouveau projet.

Dans ce scénario trop souvent réécrit, l’architecture spectacle a fréquemment tenu un rôle de premier plan. Puis, face au coût exorbitant de ces constructions de luxe – couramment sous-estimées dans les budgets initiaux –, certains élus se sont dit qu’un musée, même plus modeste, pourrait toujours procurer un second souffle. Surtout quand les lieux en question ont vu défiler quelques artistes. Alors de Nogent-sur-Seine – où Camille Claudel a séjourné quelques mois ! – à Menton, où un collectionneur a voulu rendre hommage à Cocteau alors qu’à quelques kilomètres, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, la Villa Santo Sospir, peinte par l’artiste, attend d’entrer dans le domaine public, en passant par Le Cannet où séjourna Bonnard ou encore Pont-Aven, la ville des nabis, les projets dispendieux se multiplient. L’idée est louable et le touriste sera ravi d’aller y découvrir un énième nouveau musée.

Reste qu’après ces années de folie muséale, il faudra espérer que les lendemains ne déchantent pas trop. Car il s’agira ensuite de s’acquitter du coût de fonctionnement de tous ces nouveaux équipements. Aux États-Unis, à la fin des années 1990, les experts avaient parlé d’un éclatement de « la bulle muséale » pour qualifier l’arrêt de nombreux projets. À méditer.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°643 du 1 février 2012, avec le titre suivant : Les musées et le spectre de la bulle

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