Les cristallisations de Patrick Neu

L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 406 mots

Une armure translucide et immaculée gît sur le sol. Si la préciosité du matériau est sans précédent – cette cuirasse, dépossédée de son contenu, est en cristal rehaussé de plumes – l’image ne manque pas de référents : soldat désarçonné de la bataille de San Romano de Paolo Uccello, saint Georges évanoui sous l’assaut du dragon ou premier cavalier de l’Apocalypse, on ne saurait dire. Ailleurs ce sont des chérubins évanescents qui effleurent de leur présence la surface brunie au noir de fumée de troublants verres champagnes ; on se remémore les jeunes anges graciles de Melozzo Da Forli. C’est tout l’univers de Patrick Neu cette appropriation presque magique de l’histoire de l’art, ce va-et-vient incessant entre passé et présent, l’achevé, l’inachevé, la fragilité d’un matériau confrontée à la rudesse d’un autre – tels cette ronde d’anges cristallins ricanants autour d’un bois calciné ou ces deux Christs en étain à bord d’une pirogue en pain ; avec un réel besoin de pousser toujours plus loin la difficulté, les limites à atteindre, se jouant de la fugacité de certaines de ces œuvres qu’un souffle condamne à la disparition, tout en manipulant les symboles et les mythes. Et ces êtres spirituels, qu’il convie au banquet de la dématérialisation de l’art, semblent être là pour témoigner de notre inéluctable mortalité. Véritable artiste aux doigts d’orfèvre, il renoue avec toute une tradition d’artisanat d’art le conduisant à créer ou à manipuler une grande variété de petits objets. Il peut tout aussi bien graver une scène médiévale sur de l’os, que dessiner avec minutie à l’encre de Chine sur une véritable aile de papillon. Ses toiles-objets, présentées souvent en appui contre un mur, ne s’arrêtent pas à l’espace tendu du châssis, elles se poursuivent à l’extérieur, renforçant le contenu du motif peint ou le prolongeant. Ainsi, lorsqu’il esquisse une femme, seul le visage est achevé ; vision mortuaire du Fayoum, son corps se perd dans la toile qui, laissée libre sur le pourtour, évoque le drapé d’un suaire. Plasticien, bien ancré dans son époque, manipulant en virtuose les matériaux les plus divers, attiré par le thème de l’ange, du soldat, le mythe d’Orphée, par le cristal qui abonde en Moselle – cristalleries Saint-Louis et Lalique –, cet ancien pensionnaire de la Villa Médicis bénéficie pour la première fois d’une exposition personnelle à Paris. Gageons que son « homme de verre » sera bientôt un objet de discours et de mémoire.

Galerie Arlogos, jusqu’au 19 décembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : Les cristallisations de Patrick Neu

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