Art ancien

L’empire des sens, l’érotisme au XVIIIe siècle

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 2 mars 2021 - 490 mots

PARIS

Le Musée Cognacq-Jay s’apprête à explorer le thème de l’amour peint par Boucher, Fragonard ou Watteau à travers une centaine d’œuvres qui font état du désir dans l’art au siècle des Lumières.

Difficile pour un spectateur d’aujourd’hui, abreuvé d’images licencieuses, d’imaginer l’émoi suscité par les œuvres libertines au XVIIIe siècle. Ode à la sensualité et à l’érotisme, les tableaux de Watteau, Boucher ou encore Fragonard marquent alors une vraie révolution. Un tournant esthétique autant que philosophique qui témoigne des aspirations de leurs contemporains. Après un interminable règne, qui s’achève dans l’austérité et la bigoterie, Louis XIV s’éteint en 1715. Le royaume se libère avec délice de cette chape de plomb et veut croquer la vie à pleines dents et profiter de tous les plaisirs. À commencer par ceux de la chair. L’amour et le désir font souffler un vent nouveau sur les arts et les codes de la sociabilité ; la galanterie devenant même la vertu cardinale de l’époque.

L’Encyclopédie encense d’ailleurs l’amour et ses bienfaits, car ce sentiment polit les mœurs, rendant « le caractère plus liant, l’humeur plus complaisante ». Les passions amoureuses et le désir charnel enflamment l’imaginaire des philosophes, des romanciers et bien sûr des peintres, dessinateurs et sculpteurs qui en livrent des images d’une rare audace. Les peintres, tout particulièrement, font leur miel de l’érotisme et en brossent tout le spectre des représentations, du badinage à l’amour grivois, voire à l’image obscène. Dans ce beau XVIIIe siècle, la chair triomphe en effet sans complexe, ni pudeur faisant fi des impératifs narratifs. Si, jusqu’ici, les artistes devaient user de prétextes mythologiques pour représenter des scènes lestes, notamment les métamorphoses et les amours des dieux, la nouvelle génération s’en affranchit ou les détourne avec gourmandise.

François Boucher saisit ainsi l’étreinte entre Hercule et Omphale tel un voyeur. Les amants s’embrassent à pleine bouche, s’empoignent et leurs jambes sont entremêlées laissant peu de suspens sur la suite des événements. Jamais pareil sujet n’avait été croqué avec une telle frénésie sexuelle. De même l’imaginaire mythologique voit l’irruption d’un personnage jusqu’ici secondaire : le satyre concupiscent observant avec avidité le corps des nymphes et déesses qui se livrent dans toute leur intimité. Ces œuvres ont en effet pour ambition de traiter du désir autant que de le susciter. Certaines créations sont d’ailleurs si osées qu’elles ont vocation à demeurer secrètes. En marge de ses Grâces et de ses fameuses bergères, Boucher s’aventure ainsi dans des compositions d’une volupté sidérante. Secrets d’alcôve, ces tableaux n’étaient destinés à être admirés que par leurs commanditaires et les amis auxquels ils souhaitaient les dévoiler. Ils reprennent souvent la même composition : une femme nue, lascivement alanguie sur un sofa couvert de draperies aux plis suggestifs, les fesses offertes au regardeur. Cette partie charnue occupe une place si prépondérante dans ces peintures de boudoir que dans le cas de l’Odalisque brune, les spécialistes ont même pu considérer le tableau comme véritable portrait de fesses ! Du jamais-vu.

« L’empire des sens, de Boucher à Greuze »,
Musée Cognacq-Jay, 8, rue Elzévir, Paris-3e. Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h, nocturne le vendredi jusqu’à 21 h. Tarifs de 6 à 8 €. Commissaire : Annick Lemoine, avec la collaboration de Sixtine de Saint-Léger. musee cognacqjay. paris.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°742 du 1 mars 2021, avec le titre suivant : L’empire des sens l’érotisme au XVIIIe siècle

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