Art moderne - Sculpture

Le savoir « fer » de Julio González dans la sculpture du XXe siècle

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 28 août 2007 - 729 mots

Le XXe siècle fut marqué par la révolution copernicienne de la sculpture. Alchimiste à l’ancienne, González catalysa cette modernité en s’en remettant à… l’âge du fer.

Alors qu’elle semblait devoir jouer le rôle de l’éternelle seconde, la sculpture concurrença la peinture au xxe siècle, s’émancipant d’une tradition par trop coercitive. Si les artisans de cette redistribution furent souvent des peintres, ils furent également souvent des Espagnols. Car si l’on sait le rôle de Picasso et de Gargallo, on redécouvrira celui de González puis, il convient d’en formuler ici le vœu, celui de Torres-García (1874-1949). Car la péninsule Ibérique demeura invariablement une pourvoyeuse de « visionnaires » qui, chers à Focillon, furent aptes à accélérer, en vertu de leur singularité, le cours de l’histoire : le Greco, Vélasquez, Goya, Gaudí et bientôt Buñuel qui fit de la marge un âge d’or…

Après Rodin ?
C’est un point d’interrogation que laissent derrière eux certains noms, tant leur art semble faire des suivants des suiveurs et des émules des épigones. Rodin est de ceux-là. De ceux qui bouleversèrent l’ordre euclidien établi pour lui administrer de nouvelles règles.
Soustrayant la sculpture à l’académisme, Rodin procéda à la lumière de l’inédit. Érotisme voluptueux, déformation expressionniste (Balzac, 1897), répétition et réutilisation du fragment ou d’une œuvre à part entière : ses solutions démiurgiques imposaient le respect autant que la cadence.
Rodin éblouissait et Rodin faisait de l’ombre. Aussi la sculpture se régénéra-t-elle par ceux qui surent et purent s’affranchir du maître de Meudon après en avoir assimilé l’ineffable leçon. Bourdelle délaissa l’illusionnisme et opta pour une altération des formes qu’il synthétisa et géométrisa (Héraklès archer, 1909). Brâncusi, assuré que « rien ne pousse à l’ombre des grands arbres », réduisit le réel à son irréductibilité et orienta le médium vers l’abstraction. Un processus de décantation qui invita les douanes à saisir en 1926 L’Oiseau d’or comme simple « pièce de métal »…

Après Picasso ?
À la suite de Gauguin et dans le même temps que Derain (Homme accroupi, 1907) et Brâncusi (Le Baiser, 1907-1908), Picasso devait mesurer l’originalité de l’apport du primitivisme et de la taille directe (Figure, 1907). L’effraction de la « sauvagerie » dans le champ sculptural libérait le geste créateur et transgressait les normes traditionnelles. Le terrain déblayé, Picasso frappa par deux fois.
Sa Tête de Fernande (1909) augurait des pièces cubistes d’un Csáky, d’un Lipchitz ou d’un Laurens ainsi que de la malléabilité des genres instaurée à la faveur de l’immixtion des principes picturaux dans la sculpture. Sa Guitare de 1912 signait quant à elle l’avènement de l’assemblage et l’intrusion d’éléments empruntés au réel qui, réemployés comme signes nouveaux, créaient une indistinction entre le plan et l’espace. La brèche définitivement ouverte, Duchamp empruntait, en 1917 avec Fountain, un objet à la trivialité du quotidien.

Et après González ?
Mais la sculpture devait essentiellement s’émanciper sous l’impulsion d’artistes qui interrogèrent sa possible affectation par l’espace. Tandis que le constructiviste russe Tatline, avec ses reliefs d’angle dès 1915, et les frères Pevsner s’emparaient du vide en se jouant de l’espace environnant sans lequel leurs œuvres ne fonctionnaient plus, tout porte à croire que l’expérience décorative de González, qui apporta une maîtrise parfaite du matériau, fut décisive.
Ainsi Giacometti qui travailla pour Jean-Michel Frank avant de dresser des figures obsédées par ce qu’un critique évalua sous le nom de « dimensions de la réalité ». Ainsi González qui paracheva l’abolition des frontières en dessinant dans l’espace tout en perforant ses sculptures en fer par du vide.
Réduisant la forme à ses signes essentiels, González parvint à signifier « les êtres dans leur fragilité et leur grandeur », à exalter le geste créateur auquel il conférait une latitude insoupçonnée en sculpture. L’on comprend que des artistes tels que Jean Tinguely, César, David Smith ou Eduardo Chillida se soient réclamés de ce père spirituel devenu le beau-père d’Hans Hartung en 1939.
Avec sa Femme à la corbeille (1934) et sa Daphné (1937), González devenait enfin, dans la pleine acceptation du mot, un inventeur : celui de la sculpture en fer et du fer, soudant à jamais le faire et le voir… Après González ? Et le point d’interrogation, aujourd’hui, de s’effacer… 

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Julio González », jusqu’au 8 octobre 2007. Commissaire : Brigitte Léal. Centre Georges Pompidou, Paris IVe. Métro : Hôtel-de-Ville, Rambuteau. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11 h à 21 h. Tarifs : 10 € et 8 €. Tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : Le savoir « fer » de González dans la sculpture du xxe siècle

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