Le regard glacé de Tamara de Lempicka

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juin 2004 - 367 mots

C’était en 1911. Elle n’avait pas plus de treize ans et pourtant le voyage qu’elle fit alors en Italie cette année-là avec sa grand-mère devait opérer sur elle de façon déterminante. À Florence, à Venise, à Rome, la jeune fille ne cachait pas sa fascination pour les modelés, les plissés, les jeux de lumière d’un Michel-Ange, d’un Parmesan et autres artistes de la Renaissance. Leur manière et leur force d’expression la marqueront à tout jamais. Aussi, quand après avoir fui la révolution russe et rejoint Paris en 1918, elle fréquente les ateliers de Maurice Denis et d’André Lhote, jamais elle ne pourra oublier l’expérience italienne. D’origine polonaise, née à Varsovie en 1898, Tamara de Lempicka qui s’imposa très rapidement sur la scène artistique parisienne émigrera une seconde fois en 1939 pour s’établir aux États-Unis puis au Mexique où elle mourra à Cuernavaca en 1980.
Faite pour l’essentiel de portraits, son œuvre célèbre un genre qui fera d’elle l’une des artistes les plus prisées de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie des années de l’entre-deux-guerres. C’est cette période qu’a choisie de présenter l’exposition londonienne. Entre postcubisme et arts décoratifs, son art y cultive des recettes plastiques qui conjuguent une grande science de la lumière et des valeurs à un traitement volontiers géométrique de la figure et des fonds. Une sorte de langueur envahit ses modèles dont les corps se déploient, voire se dévoilent, dans des compositions aux sonorités métalliques d’une extrême simplicité et d’une grande économie chromatique familières de cette modernité dont Fernand Léger est le patron.
Souvent sulfureux et suggestifs, certains des portraits de Tamara de Lempicka ne cachent pas les relations passionnées qu’elle a eues avec nombre d’amants et de maîtresses. Toute une époque  que nous conte son œuvre peinte. Si quelque chose d’une « angoisse expressionniste – avec une manière aussi saint-sulpicienne de figurer des personnages glacés, aux chairs polies, dans des décors de cubes et de cylindres » (Hubert Haddad) fait la singularité de son art, c’est aussi parce qu’elle porte sur le monde un regard d’une rare lucidité critique.

« Tamara de Lempicka – Art Deco Icon », LONDRES (G.-B.), Royal Academy, Burlington House, Piccadilly, tél. 00 44 20 7300 5760/1, 15 mai-30 août.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°559 du 1 juin 2004, avec le titre suivant : Le regard glacé de Tamara de Lempicka

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