Le prix de la guerre

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 octobre 2003 - 446 mots

Tenez-le vous pour dit, Malachi Farrell va une nouvelle fois « mettre le feu » à la galerie de Renos Xippas et on peut être assuré de ressortir de là, groggy, époustouflé et chamboulé. La faute à qui ? À la guerre, celle qui vient de s’achever en Irak, mais aussi à tous ces conflits armés relayés avec application (et peut-être délectation) par des médias adeptes des déferlantes d’images. C’est ce pouvoir médiatique déréglé et la brutalité de cette société du spectacle d’un nouveau type que l’artiste, d’origine irlandaise, remet sur la sellette, sur le grill devrait-on dire. Premier round : des drapeaux américains s’agitent, la foule rugit, s’opposant ou encourageant la guerre, c’est selon. Et puis de jolies armes en plastique made in China s’agitent sur l’étal d’une primeur d’un genre un peu spécial tandis qu’une bande-son laisse échapper des détonations. La contrefaçon est crispante. Tout s’entrechoque, de l’habitude d’offrir des armes à un petit garçon à l’impudeur des marchands de mort jusqu’à la banalisation de la violence dont fait commerce la télé. Le deuxième acte ne laisse pas plus de répit au visiteur abasourdi. Les carabines de fêtes foraines valsent avec Le Beau Danube bleu de Strauss, clin d’œil à Kubrick et à son Odyssée dans laquelle les machines prenaient le contrôle sur l’humanité. No comment. Mieux vaut ne pas déflorer les deux autres tableaux savamment concoctés par Farrell, ils en promettent de belles, tout aussi étonnantes. Mais surtout, au-delà de l’emphase spectaculaire déployée dans ce ballet automatique décapant, chorégraphié au millimètre et interprété par une pléiade de mitraillettes et d’armes de poing de pacotille, c’est une histoire de conscience que l’artiste met en scène. La sienne qu’il relaie par son art engagé et réactif et la nôtre, qu’il espère moins passive. Farrell désarme tout sur son passage avec une sensibilité sous haute tension, un sens affûté de la bousculade. Avec son titre peu orthodoxe « Viens ! j’te fais un bon prix ! (Nothing Domestic) » cette action en quatre temps prend tout le monde à partie et rend à l’art toute la portée d’une de ses fonctions essentielles : l’engagement dans la société. En effet, ces derniers temps, la responsabilité artistique a eu un peu trop tendance à faire de cette qualité un gadget et un prête-nom, une excuse pour masquer le vide confondant de certaines œuvres. Mais ici n’ayez crainte, les arguments pétaradants de Malachi Farrell n’ont rien d’une figure de style, mais tout d’une alarme.
No future, mais ça y ressemble furieusement.

« Viens ! j’te fais un bon prix ! (Nothing Domestic) », PARIS, galerie Xippas, 108 rue Vieille-du-Temple, IIIe, tél. 01 40 27 05 55, www.xippas.com, jusqu’au 25 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°551 du 1 octobre 2003, avec le titre suivant : Le prix de la guerre

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque