Le peuple, cette fabrique à « hero »

Par Emilie Oursel · L'ŒIL

Le 27 septembre 2007 - 771 mots

Michel de Ruyter n’est que l’une des figures d’une exposition amstellodamoise originale sur les héros qui rappelle combien la notoriété et la postérité de ces derniers reposent sur le public.

Tenue dans la Nieuwe Kerk, à Amsterdam, l’exposition « Hero » revisite l’histoire des Pays-Bas du Siècle d’or à nos jours à travers ses personnages mythiques. Qui sont-ils ? Mais surtout, que révèlent-ils sur nous ? Le visiteur est invité à explorer les chemins sinueux d’une réalité parallèle où le mythe, les préjugés et la rumeur sont autant de faits qui nourrissent l’histoire humaine.

Romantisme maritime
L’exposition n’hésite pas à jouer du choc entre les générations. Ainsi la nef est tapissée d’orange vif – la couleur nationale des Pays-Bas – et accueille le visiteur avec un écran géant. Celui-ci rediffuse les instants glorieux d’Amsterdam, lorsque la foule se pressait à la venue de célébrités, comme les Beatles dans les années 1970 ou Nelson Mandela en 1990. Le message est aussi simple que direct : il n’existe pas de gloire sans le peuple, pas de légende sans l’opinion qui la nourrit de bouche à oreille.
En contrepoint à ce tumulte, une série de tableaux venant du Rijksmuseum offre une image paisible d’hommes preux de l’ancien temps. Parmi eux se détache le visage de Frans Naerebout (1748-1818), dépeint par l’artiste J.P. Bourjé en 1817. Son regard quelque peu rêveur semble se perdre dans l’horizon de la mer qui s’étend derrière lui. Célébré au XVIIIe siècle pour avoir sauvé soixante et onze personnes d’un naufrage, le vaillant capitaine porte en lui la flamme de l’aventurier amoureux d’une mer farouche.

Le peuple fait et défait l’histoire
Les Pays-Bas regorgent de ces figures emblématiques de marins qui, plus que les rois, ont fait la fierté d’un peuple et défendu sa liberté. Cet imaginaire se développe surtout après que le pays eut gagné son indépendance en 1648, et cultive un esprit téméraire et romantique, d’une insouciance exaltée et insatiable de nouvelles aventures.
Michel de Ruyter (1607-1676) en est un parfait exemple. Inhumé dans l’autel de la Nieuwe Kerk, il est un monument à lui seul : traqueur de pirates, guerrier au cours des batailles contre les Anglais et martyre décédé au combat contre les Français. Au-delà des exploits du navigateur, le commissaire de l’exposition insiste sur le personnage, un self-made man d’origine modeste.
Si ce dernier reste plébiscité, d’autres personnages historiques ont subi un destin moins glorieux, comme le gouverneur Van Heutsz, qui a participé à la colonisation de l’Indonésie. Son monument en bronze est devenu un lieu pour les activistes – comme le collectif Provos, par exemple, qui en 1966 a balancé de la peinture blanche sur son effigie –, à tel point que son mémorial a dû être définitivement retiré de l’espace public. Passant de l’humour au second degré aux accents parfois populistes, l’exposition met le peuple à l’honneur en démontrant sa capacité à faire et à défaire l’histoire.

Le héros, une figure bien floue
Cette équation, les héros des temps modernes l’ont bien comprise et en ont fait la recette de leur succès. Les figures prométhéennes de l’ancien temps laissent la place à un panthéon héroïque du XXe siècle, qui prend l’allure d’un cirque à la romaine. Ce n’est plus vaincre la mer, mais remporter la hola fiévreuse du public que vise le nouveau héros.
Dans l’enceinte de l’église se confrontent une série de figures piochées dans l’histoire récente : Anne Frank, le footballeur néerlandais Johan Cruijff (ci-contre), la présentatrice de télévision Linda de Mol, le chanteur populaire André Hazes, les publicités pour le lait MMMM – « Met Melk Meer Mans » (devenir un surhomme avec du lait. Voir p. 101)) –, ou encore le politicien controversé Pim Fortuyn... Dans ce panthéon réuni, semble-t-il, à la bonne fortune, nul ne peut déceler ce qui fait l’étoffe d’un héros dans la société actuelle : la célébrité, la mort prématurée, l’impact commercial ?
Face aux tableaux du Rijksmuseum s’entassent des cœurs en peluche, des lettres et des cailloux écrits au feutre (voir p. 101). Ces objets ont été récupérés à l’endroit où le politicien xénophobe Pim Fortuyn a été assassiné en 2002. En lui érigeant une « stèle », l’exposition tente d’évoquer la notion de l’identité nationale, sans réussir à porter un regard précis sur la question. Restreint aux coqueluches de la société du spectacle, ce pan de l’exposition n’en reflète que les joutes, quitte, parfois, à flirter avec l’insanité.

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « Hero» restera ouverte jusqu’au 11 novembre 2007. The Nieuwe Kerk church, Dam square, Amsterdam (Pays-Bas). Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h sauf jeudi soir de 10 h à 22 h. Tarifs”‰: 10 € et 8 €. Tél. 31 ( 0 ) 20-638 69 09, www.rijksmuseum.nl et www.nieuwekerk.nl

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°595 du 1 octobre 2007, avec le titre suivant : Le peuple, cette fabrique à « hero »

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