Monographie

Le miroir et le chevalet

Le Journal des Arts

Le 20 juillet 2007 - 684 mots

Le Musée d’Orsay à Paris consacre pour la première fois une exposition à un artiste belge, Léon Spilliaert. Centrée sur ses autoportraits, la manifestation montre un homme tourmenté.

 PARIS - Léon Spilliaert (1881-1946) est un homme tourmenté. Ses autoportraits en témoignent. L’orbite assombrie, les pommettes saillantes et les joues creuses, la physionomie osseuse de son visage associée à sa chevelure hirsute permet tous les contrastes et jeux d’ombres, exprimant son caractère « inquiet et fiévreux », comme il se décrit lui-même.
Un ensemble de vingt-et-un autoportraits, réalisés entre 1902 et 1915, font actuellement l’objet d’une exposition à la galerie des arts graphiques du Musée d’Orsay, à Paris, lequel consacre pour la première fois ses cimaises à un artiste belge. Les Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles les avaient inscrits au sein d’une monographie organisée en 2006 à l’occasion du 125e anniversaire de la naissance de l’artiste.
Exalté par ses lectures de Nietzsche, Chateaubriand et Lautréamont, Spilliaert élabore un œuvre agité et introspectif, dont ses autoportraits constituent les pièces maîtresses. Cette exposition a un caractère symbolique, puisque c’est à Paris que Spilliaert a rencontré ses premiers succès : il réussit à se bâtir une renommée tandis qu’il expose en 1904 aux côtés de Picasso, à la galerie Clovis Sagot.
Les œuvres de l’exposition sont réparties dans deux salles de l’institution parisienne selon un parcours chronologique, mettant en valeur l’évolution du traitement de l’autoportrait, en relation étroite avec la vie du peintre.
Les premiers autoportraits, datant de 1902-1903, témoignent d’un réalisme presque académique. Le sens métaphysique qu’il donne à cette thématique est explicité dès l’entrée de l’exposition, avec un lavis de 1902 légendé par une citation de Nietzsche. Ce genre cher à Spilliaert rend ainsi compte de l’évolution stylistique de l’artiste, fortement influencée par les courants de l’époque : le réalisme, l’expressionnisme et surtout le symbolisme. Grâce à ses relations avec l’éditeur Edmond Deman, le peintre rencontre de nombreuses personnalités littéraires, parmi lesquelles Maurice Maeterlinck et Émile Verhaeren, croqué dans le Portrait d’Émile Verhaeren, Léon Spilliaert et Edmond Deman (1908). Quasiment autodidacte, il a fréquenté l’académie de Bruges pendant seulement trois mois. Et a utilisé un matériel élémentaire, peu onéreux et facile à travailler. Pour ses autoportraits, il se sert ainsi presque exclusivement de papier, de lavis d’encre de Chine, auquel il ajoute des touches de couleur exécutées au pastel, au crayon de couleur ou à l’aquarelle.

Cadavérique
La période la plus féconde de Léon Spilliaert se situe aux alentours de 1907-1908, avec quinze autoportraits réalisés alors qu’il se trouve au paroxysme de ses affres physiques et moraux. L’artiste est en effet atteint d’un ulcère qui le fait souffrir, tandis que ses nouvelles œuvres sont boudées. Il se représente de plus en plus inquiet, sombre et macabre cependant qu’il pose principalement en tenue de ville, comme dans l’Autoportrait au carnet de croquis bleu (1907). « Quand l’œil voit noir, l’esprit voit trouble », a écrit Victor Hugo. C’est en effet à travers la noirceur de la palette de Spilliaert que l’on saisit l’intensité de son malaise grandissant. La mort prend une place prépondérante dans sa réflexion, notamment dans son Autoportrait au chevalet (1908). Le traitement de son propre reflet à l’infini, « de plus en plus transparent, commente la co-commissaire de l’exposition Anne Adriaens-Pannier, [symbolise] la mort qui s’installe ». L’expression la plus exacerbée de son mal-être est encore plus frappante dans l’Autoportrait au miroir, peint en 1908. L’artiste, les yeux noircis à outrance, se tient debout, la bouche ouverte, dans une composition plus flottante qu’à l’accoutumée, tel un cadavre.
Deux natures mortes évoquent l’environnement dans lequel il compose ses autoportraits. Enfin, la présence dans les salles de photographies et d’une correspondance échangée entre l’artiste et ses amis poètes rappelle quelques grands événements de sa vie.
Au fil des ans, les tourments s’apaisent et la couleur investit ses autoportraits, un genre que le peintre délaissera progressivement.

LÉON SPILLIAERT : AUTOPORTRAITS,

Jusqu’au 27 mai, Musée d’Orsay, galerie d’arts graphiques, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 00, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi, 9h30-18h, jeudi jusqu’à 21h45. À paraître courant mars, Léon Spilliaert, esprit libre, coéd. Ludion/Flammarion.

LÉON SPILLIAERT

- Commissaires de l’exposition : Marie-Pierre Salé, conservatrice au Musée d’Orsay ; Anne Adriaens-Pannier, conservatrice des Musées royaux de Belgique - Nombre d’œuvres : 23

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°255 du 16 mars 2007, avec le titre suivant : Le miroir et le chevalet

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