Le mariage de l’histoire de l’art et de celle de France

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 29 mai 2008 - 413 mots

Il est docteur en droit, elle est peintre. Il se définit comme révolutionnaire, elle est encline à la discrétion. Il fréquentera les salons ministériels, elle vient d’exposer à celui des Artistes français.

Lorsqu’en 1897 Marcel Sembat épouse Georgette Agutte, tout semble séparer leurs trajectoires aussi brillantes que différentes. Quels liens unissent donc ce député habitué des lambris à ce peintre familier de la scène artistique ? En vertu de quelle alchimie secrète ce couple dépareillé vient-il de marier des talents qui bientôt bousculeront l’histoire, celle de France comme celle de l’art ?
Les apparences étant trompeuses, il faut regarder du côté de Giverny pour envisager des affinités électives. Bonnières, exactement, puisque c’est dans ce village que les deux adolescents évoluèrent à l’ombre de l’impressionnisme et de la fièvre créatrice avant de revenir tous deux s’y installer. Conjointement. Bonnières, ce temple des objets et des souvenirs que les Archives nationales exposent désormais à l’Hôtel de Soubise.
Ainsi les lettres et ouvrages de Marcel Sembat qui dessinent une érudition singulière et un socialisme indépendant et engagé, féministe et pacifiste. Ainsi les toiles de Georgette Agutte qui, après avoir été la seule femme dans l’atelier de Gustave Moreau où elle fréquenta Marquet ou Rouault, fait de l’utilisation du Fibrociment une innovation substantielle dans le champ de la modernité.
Volontiers « anti » (-clérical, -militariste, -capitaliste), Sembat constitue rapidement une collection dont le don en 1923 au musée de Grenoble permet de mesurer la clairvoyance. Par chance, les artistes qu’il soutient – Matisse, Signac ou Metthey – sont les amis de son épouse : en 1912, son intervention devant la Chambre des députés en faveur d’un fauvisme et d’un cubisme décriés sera à cet égard aussi salutaire que sa défense acharnée de Dreyfus.
Redouté par la classe politique et admiré de Proust et de France, Sembat n’a de cesse de consulter celle dont il partage la vie. Lui le décideur, elle le conseiller personnel. À la vie, à la mort. Lui, emporté par une attaque cérébrale le 4 septembre 1922, elle se tirant une balle dans la tête pour s’en aller le rejoindre au plus vite : « Je ne puis vivre sans lui. Minuit. Douze heures qu’il est mort. Je suis en retard… »

Voir

« Entre Jaurès et Matisse. Marcel Sembat et Georgette Agutte à la croisée des avant-gardes », Archives nationales, Musée de l’Histoire de France, Hôtel de Soubise, 60, rue des Francs-Bourgeois, Paris IIIe, tél. 01 40 27 60 96, jusqu’au 13 juillet 2008.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Le mariage de l’histoire de l’art et de celle de France

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