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ART CONTEMPORAIN

Le jeu malheureux des œuvres et du hasard

Par Léa Chauvel-Lévy · Le Journal des Arts

Le 28 novembre 2018 - 589 mots

En prenant le risque d’exposer sans autre propos que l’aléa, les œuvres d’ artistes dont le nom commence par « L », le château de Rentilly fait la démonstration de la nécessité d’un commissaire.

Bussy-Saint-Martin. Le principe de l’exposition « L » au château de Rentilly avait quelque chose d’intrigant sur le papier. Le résultat est malheureusement bancal. Un principe d’exposition simple, mais lourd de conséquences d’un point de vue théorique : laisser le public tirer au sort sur le site internet du Fonds régional d’art contemporain (Frac) une lettre de l’alphabet qui deviendrait le point de départ de l’exposition. Toutes les œuvres des artistes du Frac Île-de-France dont le nom de famille commence par celle-ci seraient en effet exposées. C’est le L qui fut tiré au sort.

Le risque était grand, car si la lettre U avait été choisie, il n’y aurait pas eu d’exposition, « j’aurais laissé l’espace d’exposition vide, je serais allé au bout du jeu », commente Xavier Franceschi, commissaire de l’exposition « L ». Un jeu avec des règles préétablies qui rappelle les contraintes de l’OuLiPo.

En plus de laisser le hasard décider des œuvres exposées, l’accrochage fut lui aussi soumis à la contrainte de l’ordre alphabétique sur deux étages, de gauche à droite. Un choix courageux, car il met à nu exhaustivement tous les achats du Frac. Car à l’exception des pièces en volume, dont l’emplacement a été défini par le commissaire, c’est le hasard qui se charge de montrer les forces ou les faiblesses des œuvres exposées.

Un accrochage aléatoire peu convaincant

Serait-ce là un geste d’effacement du commissaire ? « Il s’agit d’une mise de côté de la subjectivité », répond Xavier Franceschi. On comprend que tout l’enjeu est de montrer les œuvres de cette collection née en 1983, pour elles-mêmes, en se soustrayant à la logique d’une thématique qui orienterait le regard. Quitte à laisser certaines œuvres en écraser d’autres ; certains ensembles sont en effet loin de convaincre. C’est le cas des dessins de Jacques Ladouceur datant de 2007 formellement proches du cartoon qui, accrochés à côté de la toile Arcueil sous la neige de Jacques René Lagrange de 1956, ne trouvent aucune consistance. Les œuvres de Bertrand Lavier sont assez mal entourées. On aurait préféré voir sa pièce On reflexion aux côtés de la sculpture ZZZT [voir illustration] de Fabrice Langlade; les deux pièces renvoyant en effet à l’idée du détournement des usages premiers des objets. Le miroir, pour Lavier, badigeonné de laque n’offrant plus de réflexion, face à la toupie de Langlade détournée de sa fonction première.

C’est bien le rôle du commissaire de proposer ces liens. Certains ensembles fonctionnent, par chance, plutôt bien. C’est le cas du couple formé par la sculpture La Vallée de l’ours, ligne pure de métal qui danse pour former un paysage gracieux face aux plaids colorés de Seulgi Lee reprenant la technique coréenne de matelassage Nubi. Mais ici, le choix de la scénographie revient au commissaire… Comme quoi, lorsqu’il intervient, il intervient à bon escient. C’est peut-être un tort de penser que l’on peut se soustraire à sa main invisible et que le hasard fait bien les choses.

L’idée de tordre le cou à la convention des expositions thématiques était séduisante, mais elle n’opère pas dans l’espace. La dimension théorique, voire idéologique, de l’exposition n’offrent pas l’autonomie des œuvres recherchée. Toutes les œuvres ne se valant pas. Alors, remettre les œuvres au premier plan oui, mais avec un commissaire au premier plan, lui aussi. Un commissaire qui pense le lien entre les pièces et met l’espace au service de la pensée.

« L »,
jusqu’au 10 février 2019, Frac Île-de-France, le château, Domaine de Rentilly, 1, rue de l’étang, 77600 Bussy-Saint-Martin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Le jeu malheureux des œuvres et du hasard

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