Patrimoine

XIIe-XIXe siècle

Le Crac des chevaliers, un château entre deux mondes

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2018 - 647 mots

L’histoire du monument syrien est retracée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, où l’on peut voir qu’il a tenu une place à part dans l’histoire de la France.

Paris. Le Crac des chevaliers. Aux oreilles de beaucoup, cette dénomination ressemblant à une onomatopée n’évoquera rien. Pour d’autres, il s’agira bien sûr d’un des plus importants châteaux forts du Proche-Orient. Son nom dérive d’ailleurs du syriaque karak signifiant « forteresse ». La Cité de l’architecture et du patrimoine retrace dans une petite exposition les heures de ce monument syrien, en particulier à travers le regard qu’a porté sur lui la France.

Le Crac, vestige des croisades, est le fruit d’une histoire où s’entremêlent Occidentaux et Orientaux, chrétiens et musulmans. D’abord occupée par les Kurdes, cette forteresse dominant la plaine de Homs tombe aux mains des croisés francs au début du XIIe siècle. En 1142, elle est concédée à ces moines soldats catholiques que sont les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Aux XIIe et XIIIe siècles, ceux-là bâtissent sur les ruines d’un séisme un vaste château fort pourvu de deux enceintes, avec tours, talus, glacis, chapelle et galerie à arcades de style gothique. En 1271, le Crac tombe sous domination musulmane : les Mamelouks s’en emparent et complètent son architecture défensive. La fin des croisades fait perdre au site son rôle militaire. Passé sous l’égide ottomane en 1516, il devient une garnison d’importance secondaire, ce qui lui permet de traverser le temps sans dommage majeur.

La Cité de l’architecture et du patrimoine, la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine et d’autres collections publiques ont largement conservé la mémoire de la redécouverte française du Crac. Une redécouverte qui commence en 1859 avec l’expédition du baron Rey, qui réalise une étude scientifique du lieu et ouvre la voie au tourisme. « Le voyageur ne peut passer au pied de ce monument sans le visiter […] on dirait un château normand transplanté en Syrie », s’enflamme le Guide-Joanne consacré à l’Orient publié en 1861.

Paul Deschamp documente le monument

Pendant la période de son mandat en Syrie, entre 1920 et 1946, la France va prendre en main le Crac. Épaulé par des archéologues, l’historien Paul Deschamps fait de son exploration et de sa sauvegarde l’œuvre de sa vie en faisant exécuter une multitude de plans, études, autochromes, maquettes et moulages de plâtre des éléments architecturaux du Crac. Au travers de ces documents, le Crac s’expose à Paris, au Musée de sculpture comparée (transformé en Musée des monuments français, dont Paul Deschamps fut directeur et qui sera intégré plus tard à la Cité de l’architecture et du patrimoine), mais aussi à l’Exposition coloniale internationale de 1931, où le monument est érigé en emblème de l’expansion française dans l’Histoire. Un message patriotique perceptible dans ce reportage de 1940 qui vante la francité de la Syrie, au travers d’images de soldats français en procession dans le Crac présentés comme les héritiers des Hospitaliers de jadis. En 1933, la France achète le Crac, le vide de ses occupants, le restaure, l’ouvre au tourisme. Mais la Syrie nouvellement indépendante obtient en 1949 la restitution du Crac. Les restaurations se poursuivent et le Crac reste une destination touristique. Il prend valeur d’icône nationale, non plus française, mais bien syrienne : il est d’ailleurs choisi pour orner un billet de banque en 1977, cette fois-ci en tant que symbole de la reconquête musulmane contre les croisés.

En 2006, cette forteresse, qui affiche un état de préservation rare, est inscrite sur la Liste du patrimoine mondial. En 2013, elle rejoint celle du patrimoine en péril. Occupé par des groupes armés et repris par le régime syrien en 2014, l’édifice a subi des dommages limités mais spectaculaires. il devrait faire l’objet de restaurations pilotées par l’Unesco et la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie, en s’appuyant notamment sur les relevés dressés par Paul Deschamps au début du XXe siècle.

 

Le Crac des chevaliers, chroniques d’un rêve de pierre,
jusqu’au 19 janvier 2019, Cité de l’architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Le Crac des chevaliers, un château entre deux mondes

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