Art contemporain

Le corps entre les deux

De la performance au concert et réciproquement

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2002 - 844 mots

Consacrée à l’implication du corps dans la musique depuis la seconde moitié du XXe siècle, l’exposition « Electric Body » dévoile à la Cité de la musique quelques-unes des étapes de cette relation. À travers cette problématique se dessine l’ambivalence de la performance dans les rapports entre art et musique, et la façon dont le rock a recueilli de lui-même les préceptes des avant-gardes.

Icône d’une jeunesse sonique, la guitare électrique dont s’est emparé Christian Marclay pour sa vidéo Guitar Drag résume à elle seule bien des tensions et des rêves véhiculés par la musique rock. Traîné derrière un véhicule et fracassé dans la poussière, l’instrument prend des allures de supplicié chinois en introduction de l’exposition “Electric Body. Le corps en scène”. Comment et quand la musique s’incarne-t-elle dans le corps ? En quoi le concert rejoint-il la performance ? Voilà les principales questions posées par la manifestation inaugurée par la Cité de la musique, à Paris, dans ses galeries contemporaines fraîchement réouvertes. Filmé, le sacrifice ordonné par l’artiste suisse Christian Marclay sonne comme l’ultime étape d’une longue histoire qui regorge d’instruments violentés. Au début des années 1960, Pete Thowshend, le guitariste des Who, avait fait de la destruction de ses instruments une de ses spécialités, lançant un rituel promis à un riche avenir. Quelques années plus tard, Hendrix va mettre le feu à sa guitare, relayé dans la décennie suivante par les Clash et autres groupes punk qui poussèrent à son paroxysme le goût de la destruction. Mais cette violence est-elle vraiment née d’une fureur incontrôlée ? En partie seulement, tant la musique populaire a su recueillir les préceptes de l’avant-garde artistique. Sans ambivalence, Pete Thownshend a ainsi reconnu dans ce geste l’influence de ses années d’études en école d’art et des cours promulgués par Gustav Metzger, alors promoteur du Manifeste de l’autodestruction.

Éminemment visuel, le concert de rock a rapidement cherché à rompre avec la raideur de son dispositif et a su emboîter le pas aux problématiques artistiques qui lui sont contemporaines. Sans exclusive, le critique américain Robert Nickas a ainsi pu construire une “Une brève histoire du public” (Prières américaines, 2002, Dijon, Presses du réel) dans lequel se croisent aussi bien les performances d’artistes comme Marina Abramovic ou John Miller que les provocations des Stooges et l’agitation déclenchée lors des représentations des Anglais de Public image Ltd. C’est dans l’interstice ouvert par l’action que les passages entre art et musique se sont créés. “Dans cette notion de corps en spectacle, le lien entre le rock et la performance est fort, explique Emma Lavigne commissaire d’”Electric Body”. Dans les actions contemporaines du Living Theatre, des Who ou de Hendricks se trouve le même désir d’abolition les frontières. À la fin des années 1950, Paik monte sur scène pour couper la cravate de John Cage ; quelque temps plus tard, nombre de groupes de rock revêtent des costumes lacérés.”

Autre point fondamental de cette interaction entre art et musique : la transformation plastique d’un instrument vers la sculpture, qui assure un glissement naturel entre scène et exposition. TV-Cello de Nam June Paik ou violons modifiés de Laurie Anderson, la liste des hybrides est longue. Au plus près du corps, l’instrument prend souvent des allures de prothèse, et la musique contemporaine ne s’est pas privée de jouer de la confusion. L’Homme-tambour, inventé par le maître du théâtre musical Mauricio Kagel dans son opéra Staatstheater (1971), fait de la figure humaine un objet de percussion. Karlheinz Stockhausen demande à ses musiciens d’adopter un costume-instrument pour leurs concerts. Mutant de son et de chair, le musicien devient l’élément d’une partition plus vaste que sa portée habituelle.

Prégnantes dans ces démarches, les notions de direct et de correspondance entre l’action et le son ont toutefois été largement bouleversées ces dernières années par les évolutions de la musique électronique. L’énergie adolescente du rock’n roll, décryptée par Dan Graham (Rock My Religion) comme ferveur religieuse catalysée autour de la figure charismatique de l’interprète, doit désormais cohabiter avec les souhaits d’anonymat et de discrétion de nombre d’artistes. C’est assis derrière leurs ordinateurs que la plupart des musiciens de la scène électronique apparaissent désormais, privilégiant la simple diffusion de leurs œuvres à la performance spectaculaire. Pionniers du genre, les quatre Allemands de Kraftwerk prirent rapidement l’habitude de laisser à des automates le soin de fournir le récital attendu. “Mais les robots sont désormais au musée, s’amuse Emma Lavigne, qui en a intégré à son exposition. C’est un fait marquant que les membres de Kraftwerk jouent désormais sur scène. Le modèle du robot a laissé place à d’autres rencontres.” Avec la relative disparition du musicien, le spectacle n’a pas pris fin, il s’est déplacé. Élément central de la relation, le corps peut désormais s’afficher par le biais de la vidéo, rappelant en cela les expériences sensorielles de Gary Hill qui accorde l’image aux autres sens.

ELECTRIC BODY LE CORPS EN SCÈNE

Jusqu’au 13 juillet 2003, JIMI HENDRIX, jusqu’au 12 janvier. Cité de la musique, 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 44 84 44 84, tlj sauf lundi, 12h-18h, dimanche, 10h-18h, www.citemusique.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°157 du 25 octobre 2002, avec le titre suivant : Le corps entre les deux

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