« Le commerce et la finance se sont servis de l’art »

Entretien avec Tim Parks, écrivain, traducteur et essayiste anglais

Par Vincent Noce · L'ŒIL

Le 15 septembre 2011 - 498 mots

Auteur de romans et d’essais, notamment sur la famille Médicis, Tim Parks assure le co-commissariat de l’exposition « Money and Beauty ». Pour lui, le développement de la peinture de la Renaissance et l’essor du marché financier sont liés.

L'oeil : Comment avez-vous construit cette exposition ?
Tim Parks : « Tout a un prix » est le titre, un peu provocateur, de la première salle, qui veut rappeler que, à cette époque, tout acquiert une valeur monétaire, une vache ou un litre de vin, mais aussi une prière, une indulgence ou une passe. Et un tableau aussi, bien sûr. Nous évoquons notamment la personnalité de Francesco Datini, grand marchand et banquier de Prato, qui s’est présenté comme un dévot, mais a payé plus cher l’habit rouge qu’il revêt sur l’un de ses portraits que l’esclave devenue mère du seul enfant qu’il ait reconnu. Ensuite, nous abordons le prêt bancaire, les échanges commerciaux, la réaction des lois somptuaires… Le visiteur peut, s’il le souhaite, investir à l’entrée cent florins (virtuels) et commercer au fur et à mesure de l’exposition, prendre des assurances, risquer la tempête ou l’attaque de pirates et, enfin, déterminer quelle part de son profit il choisit de donner à des bonnes œuvres. Nous pouvons alors aborder comment le commerce et la finance se sont servis de l’art, transformant les images de dévotion en gravures de mode, multipliant les dons aux églises et ouvrant la voie aux fastueuses collections particulières dans les palais. Même le retour au platonicisme, prôné à la cour des Médicis, peut être vu comme une exaltation de la beauté comme une vertu, dont Botticelli se fit un des représentants en art. Vénus toute nue devient l’équivalent de Marie, dont Florence avait tant célébré le cou­ron­nement. 

L’œil : Vous terminez sur l’explosion de ces contradictions à la fin du XVe siècle, avec le triomphe, éphémère, de Savonarole…
T. P. : C’est la très bonne idée qu’a eue Ludovica Sebregondi [co-commissaire]. Significativement, nous avons eu le plus grand mal à trouver des images du bûcher des vanités, dont peut-être personne ne voulait garder le souvenir.

L’œil : On voit alors Botticelli adopter un style plus intériorisé…
T. P. : Certes, mais pour quelle raison ? Parce qu’il a traversé une crise mystique ? La co-commissaire
de l’exposition n’était absolument pas d’accord avec moi, et nous avons voulu introduire ce débat. Pour ma part, je suis plutôt dans la lignée d’un Richard Goldthwaite [spécialiste de l’économie de la Renaissance] pensant que les créateurs s’adaptaient à leur marché. Botticelli a réadapté son style pour répondre à la demande. Vous savez, les artistes aussi sont des hommes d’argent.

Repères

1252 Création du florin d’or

XIVe Les banques de Florence dominent l’économie européenne

1394 L’Église interdit le prêt à intérêt

1437-1441 Quatre banques juives ouvrent à Florence

1494 Le bûcher des vanités : plusieurs œuvres d’art sont détruites. À Florence, les Médicis font faillite

1494-1498 Savonarole institue la dictature théocratique de Florence

1515 Les Usuriers de Quentin Metsys.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : « Le commerce et la finance se sont servis de l’art »

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