Art moderne

L’autre Matisse

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2021 - 840 mots

NICE

En installant sa galerie à New York dans les années 1930, Pierre Matisse a contribué à la reconnaissance de son père et des artistes français outre-Atlantique. L’exposition niçoise retrace le parcours du marchand d’art.

Nice. La programmation des musées monographiques – Marc Chagall à Nice, Pierre Soulages à Rodez – n’est pas de tout repos. Ces institutions sont dans l’obligation de proposer des manifestations en rapport avec l’artiste dont elles portent le nom. La difficulté devient un véritable casse-tête avec des créateurs qui ont droit à deux musées tels Pablo Picasso à Paris et à Antibes, ou Henri Matisse au Cateau-Cambrésis et à Nice.

Au musée niçois, le thème de l’exposition organisée par Claudine Grammont est original car il traite du peintre fauve indirectement, à travers l’histoire de la galerie fondée en 1931 à New York par son fils cadet, Pierre (1900-1989). Il s’agit d’un chapitre important de l’histoire de l’art car, selon la directrice du musée, la Pierre Matisse Gallery « a joué un rôle considérable pour la défense de l’art moderne français et européen aux États-Unis, durant une période qui a façonné les grandes collections américaines privées et institutionnelles ».

Pierre Matisse, c. 1940 © The Pierre and Tana Matisse Foundation, New York / Photo Christopher Burke
Pierre Matisse, c. 1940.
© The Pierre and Tana Matisse Foundation, New York / Photo Christopher Burke

Le parcours chronologique suit l’évolution des activités de Pierre Matisse, qui reflète le contexte européen. De fait, si les premières années sont consacrées à l’introduction sur le marché américain de Matisse, André Derain, Balthus ou Giorgio De Chirico, la guerre et l’arrivée des artistes du Vieux Continent donnent lieu à une exposition dont le titre « Artists in Exile » (1942) parle de lui-même. Exposition qui donne une place de choix aux surréalistes et dont, écrit Fabrice Flahutez, « la fortune critique tient en grande partie au fait qu’elle réussit à montrer à quel point l’exil a permis un transfert culturel de grande ampleur en faveur des États-Unis ». Yves Tanguy, sa femme Kay Sage et Marc Chagall se retrouvent avec Max Ernst, André Masson, ou Joan Miró, sans oublier Roberto Matta ou Wifredo Lam, introduits par André Breton. On constate également que la galerie continue d’être pendant les années d’après-guerre un relais important pour l’art européen avec des nouveaux venus comme Jean Dubuffet et Alberto Giacometti. Curieusement, Pierre Matisse reste peu sensible, du moins en tant que marchand, à l’avant-garde américaine qui fait son apparition. Un exemple particulièrement significatif est son refus face à la tentative d’approche de Jackson Pollock, étudiée de façon détaillée par Serena Bucalo-Mussely dans le riche catalogue.

Des œuvres éclectiques et célèbres

Pour autant, l’exposition ne se limite pas à une recherche théorique au risque d’oublier les œuvres et, à l’aide de prêts de qualité, souvent issus de collections privées, elle met en scène un ensemble de tableaux qui témoignent de l’éclectisme de Pierre Matisse. Ainsi, le spectateur peut choisir entre deux magnifiques Miró – Tête d’homme (1935) et Femme et Oiseau (1940), un espace onirique rempli des machines-insectes de Tanguy (Le Palais aux rochers de fenêtres, 1942, voir ill.), un collage de Dubuffet (La Bouture, 1956), la célèbre Leçon de Cathy de Balthus (1933) en provenance du Centre Pompidou, sans oublier le petit dessin de la tête d’Henri Matisse par Giacometti.

Et Henri Matisse dans tout cela ? Certes, on trouve ici quelques-uns de ses papiers collés et de ses toiles, comme l’étonnant Nu debout, nu rose, intérieur rouge de 1947 ou la belle Algue sur fond vert, 1947. Certes encore, le portrait du fils, enfant, par son père est touchant (Portrait de Pierre, 1909). Il n’en reste pas moins que, pour citer encore la directrice du musée, même si le galeriste réussit à construire en Amérique « une personnalité artistique transnationale dont l’œuvre incarnait des valeurs universalistes […], son père lui-même ne lui facilite pas spécialement la tâche ».

Des catalogues éditorialisés

Pourtant, Henri Matisse n’avait pas de raison de se plaindre : huit expositions monographiques ont eu lieu à la Pierre Matisse Gallery entre 1931 et 1949. Mais, on le sait, les rapports entre les artistes et leur progéniture sont rarement simples. Malheureusement, les souvenirs personnels de Jack Flam, auteur d’un ouvrage remarquable sur le peintre, restent trop anecdotiques pour éclairer nos connaissances sur ce point.

En revanche, l’exposition permet de mettre en lumière un autre aspect de la stratégie marchande de Pierre Matisse : sa politique éditoriale. Les catalogues d’exposition « ne sont pas à proprement parler des catalogues mais plutôt des petites publications sous forme de fascicules ou de dépliants, remarquables par leur variété et leur créativité typographiques », précise Marianne Jakobi dans le catalogue. Parfois sobres (Lam, 1942, Matta, 1947), parfois plus illustratifs (Giacometti, 1950), ces plaquettes sont souvent enrichies par des préfaces d’auteurs prestigieux – Jean-Paul Sartre pour Giacometti, Albert Camus pour Balthus, André Breton pour Lam – qui tranchent avec les textes des critiques d’art habituels.

Dans les années plus tardives de la galerie, Pierre Matisse fait appel à une nouvelle génération – Claude Viallat, Simon Hantaï ou François Rouan. Si la Pierre Matisse Gallery fait partie de l’histoire pendant près de soixante ans, à travers plus de trois cents expositions, c’est que son propriétaire, affirme Balthus, « voyait les choses comme le fils d’un peintre ».

Pierre Matisse, un marchand d’art à New York,
jusqu’au 30 septembre, Musée Matisse, 164, avenue des Arènes de Cimiez, 06000 Nice.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : L’autre Matisse

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