La voix des « sans visages »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 14 juin 2002 - 574 mots

Tournant le dos au folklore et aux clichés, La Villette témoigne du difficile combat des Indiens du Mexique pour la reconnaissance de leur identité, depuis le Chiapas jusqu’aux frontières californiennes, en passant par les états d’Oaxaca, du Guerrero et la ville de Mexico. Peintures murales, tableaux, films, photographies, sculptures, musique et textes s’orchestrent selon un parcours créatif et didactique.

PARIS - Le Mexique compte une population de plus de 10 millions d’Indiens – soit la plus importante du continent américain –, parlant une cinquantaine de langues différentes et formant des milliers de communautés. Comme leurs “frères” équatoriens, boliviens, colombiens, guatémaltèques, ils luttent depuis les années 1960 pour que soient enfin reconnues et acceptées leur identité, leur culture, leurs aspirations politiques et sociales. Loin de brosser un tableau complet des Indiens du Mexique, le Parc de La Villette, à Paris, donne la parole aux peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes ou autres acteurs de cette société hétéroclite. Le parcours commence par le Chiapas, berceau des révoltes indiennes, poursuit sa route dans l’État d’Oaxaca, où résident nombre d’artistes et artisans, puis dans celui du Guerrero, se rend ensuite dans l’écrasante mégalopole qu’est Mexico, traverse le nord du pays et s’achève au-delà des frontières, en Californie, où est installée une importante communauté d’immigrés. Suspendues à de simples sacoches en toile ou installées dans des cabanes en bois, imitant les abris des guérilleros, de nombreuses vidéos jalonnent cette traversée politico-culturelle du pays. Les photographies et peintures sont, quant à elles, accrochées sur des barricades de bois, évoquant à nouveau les montagnes et forêts où se sont organisées des rebellions, notamment la révolte zapatiste menée par le “sous-commandant” Marcos, dans les Chiapas. “Nous étions invisibles. Il a fallu que nous nous cachions le visage pour que l’on nous voie.” Ces mots brodés en rouge sur une bannière blanche accompagnent les photographies noir et blanc de visages cagoulés, tandis que des écrans diffusent les images d’un entraînement de combattants, les allocutions du sous-commandant Marcos et un documentaire sur les paysans sans terres.

Les couleurs te feront libre
L’Oaxaca offre une vision moins guerrière des Indiens mexicains, avec, notamment, les œuvres de Natividad Amador – elle intervient également dans une vidéo pour évoquer ses conditions de femme artiste –, qui combine, dans ses tableaux, des appliques de broderie de soie et des aplats de peintures à l’huile. Lui succèdent les créations de Francisco Toledo, qui associe aux souvenirs de son enfance des références à l’art occidental des années 1960, ou encore de Domitila Dominguez Manuel dite Domi, à laquelle les femmes brodeuses de son enfance avaient prédit : “tu feras ce que tu voudras avec les couleurs et les couleurs te feront libre”. Plus loin résonnent les cris des manifestants réunis à Mexico, en mars 2001, lors de la grande “marche pour la dignité indienne”, immortalisée dans des photographies de l’AFP. Cette exposition qui succède à “Mali kow” (lire le JdA n° 141, 25 janvier 2002) dans le cadre de la série intitulée “Un monde fait de tous les mondes”, reprend le mot d’ordre lancé par le sous-commandant Marcos, s’interroge sur les conséquences de la globalisation, et analyse la rencontre entre valeurs modernes et traditionnelles. Elle permet tout simplement de mieux comprendre “l’autre”.

- INDIENS – CHIAPAS, MEXICO, CALIFORNIE, jusqu’au 17 novembre, Parc de La Villette, pavillon Paul-Delouvrier, 211 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 40 03 75 00, tlj sauf lundi et mardi, 14h-19h, entrée gratuite. Catalogue, éditions Indigène, 120 p., 27 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°151 du 14 juin 2002, avec le titre suivant : La voix des « sans visages »

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