La toile de Jouy, au fil du temps

L'ŒIL

Le 1 mars 1999 - 449 mots

Tissus historiés en camaïeu de rose ou de bleu, indiennes à motifs fleuris polychromes, les toiles de Jouy traversent les siècles sans prendre un pli. Si aujourd’hui le langage courant englobe sous ce vocable l’immensité apatride des cotonnades imprimées de scènes à personnages – qu’elles soient fabriquée à Nantes, Lyon ou Rouen... – le terme faisait autrefois exclusivement référence aux productions de l’ancienne manufacture royale de Jouy-en-Josas (1760-1843). La perpétuation de cette référence géographique 160 ans après la fermeture de l’entreprise témoigne du succès attaché à ses 83 années d’activité. Il faut dire qu’à la fin du XVIIIe siècle, celle-ci bénéficie d’une conjoncture particulièrement favorable : après la levée de l’interdiction de la fabrication et du port d’étoffes imprimées de 1686 à 1759 – un arrêt visait à protéger les industries nationales face à l’importation d’indiennes – il existe en France un large marché à conquérir. Les galantes de Versailles et du royaume raffolent de ces toiles si gaies qu’elles portent en caracos ou qu’elles vouent à la décoration de leurs intérieurs. Cette réputation, la manufacture la doit également à la personnalité de son fondateur, Christophe-Philippe Oberkampf. Ce dernier a su s’entourer de peintres talentueux, tels Jean-Baptiste Huet, pour créer des motifs originaux animant gracieusement les toiles de coton blanc. Les scènes galantes ou champêtres de Huet, ses motifs à l’Antique ou ses décors directement inspirés des événements contemporains – La Liberté américaine, les Monuments d’Égypte – imprimeront une « griffe » repérable au premier coup d’œil, et resteront indémodables un siècle après leur création. Chez Oberkampf, l’ami des arts se double d’un redoutable stratège. L’homme d’affaires est prêt à tout pour améliorer la compétitivité et la qualité de ses produits... jusqu’à l’espionnage industriel ! On raconte qu’en 1771, il dépêche son père en Alsace pour observer les premiers essais d’acclimatation de la garance, culture à laquelle il s’essaiera sur les terrains attenants à la manufacture. Malgré son succès, celle-ci fait faillite, subissant de plein fouet le Blocus continental et l’émergence d’une concurrence vorace, produisant en quantité et à moindre coût. L’entreprise textile Braquenié se porte acquéreur de l’affaire en 1843, transmettant jusqu’à nos jours, à travers sa propre production textile, les motifs anciens de Jouy. À l’occasion du 175e anniversaire de la société, le musée de Jouy confronte textiles et dessins de l’époque d’Oberkampf aux rééditions de Braquenié, et ressuscite, le temps d’une exposition, les splendeurs de la demeure d’Oberkampf, peuplée des meubles, tableaux et objets personnels du chef d’entreprise et des célèbres tissus qui firent sa gloire.

JOUY-EN-JOSAS, Musée de la toile de Jouy, Château de l’Églantine, jusqu’au 15 mars. À lire : Jacques Sirat, Braquenié, créateur de textiles depuis 1823, 208 p., 250 ill., 490 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°504 du 1 mars 1999, avec le titre suivant : La toile de Jouy, au fil du temps

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