Pour sa première exposition monographique à Bozar, la plasticienne convoque les œuvres des artistes qui l’ont inspirée.
Bruxelles. Artiste majeure de la scène contemporaine, Berlinde De Bruyckere (née en 1964) a souvent été montrée à l’étranger et a notamment représenté la Belgique lors de la 55e Biennale de Venise, en 2013, mais elle n’avait jusqu’à présent jamais bénéficié d’une exposition institutionnelle dans la capitale. C’est chose faite à Bozar avec « Khorós », dont elle est, avec son équipe, la conceptrice. Plutôt qu’une rétrospective chronologique ou thématique, il s’agit d’un parcours qui met en dialogue des œuvres de différentes périodes et de médiums divers. Une boucle qui revient à son point de départ en dix étapes. Au long des dix salles du Palais des beaux-arts, le visiteur est plongé dans une intimité presque physique avec des œuvres souvent monumentales.
L’exposition est la première de la série « Conversation pieces » où l’institution bruxelloise invite des artistes à créer un dialogue entre leurs œuvres et celles d’autres artistes. De Bruyckere a choisi des artistes et des œuvres qui l’ont inspirée et accompagnée dans sa création. L’espace d’entrée est aussi l’espace de sortie. Le visiteur y est confronté à l’imposant Lost I (2006, [voir ill.]), une carcasse de cheval, vidée de ses chairs, suspendue comme un point d’interrogation. Référence aux montures décimées sur les champs de bataille de l’Yser, c’est une des œuvres majeures de l’artiste grâce à laquelle elle a acquis un statut international.
Le dialogue le plus évident est celui avec l’architecture de Victor Horta grâce à la lumière qui traverse les verrières mais aussi, à l’initiative de l’artiste, à l’application sur les murs d’une salle d’une teinte d’origine (marron) . Les objets et les évocations des artistes que Berlinde De Bruyckere a parsemés dans son parcours sont des sources d’inspiration, des voix qui ont accompagné sa création. Ainsi, parmi ces sources, un retable du XIVe siècle, la voix de Patti Smith, des images tirées de films de Pier Paolo Pasolini, une toile de Lucas Cranach l’Ancien ou des images de sa collaboratrice Mirjam Devriendt qui a filmé les gestes rituels de la préparation des peaux chez un marchand où l’artiste va acheter des dépouilles pour ses sculptures.
Une des forces de la scénographie est l’organisation des séquences. Chaque salle présente un ensemble cohérent. L’énigmatique Arcangelo III se reflète dans les vitrines murales écaillées de la série « Need » qui renferment des reliques de corps et de morceaux de bois transpercés. Ailleurs, ses dessins érotiques trouvent un écho dans les Yoni Lingam, objets de vénération dédiés aux organes sexuels masculins et féminins dans la culture indienne.
Dans cette exposition dépouillée qui laisse parler les œuvres, très peu d’informations sont à trouver sur les murs. Ainsi, pour comprendre l’interaction entre les œuvres invitées et celles de la Gantoise, il faut se plonger dans le concis mais très complet guide de visite. Dans la dernière salle, les œuvres les plus récentes de Bruyckere, des assemblages de linoléum, de papier et de tissus de soie, sont confronteés à une de ses premières pièces, l’énigmatique sculpture d’une femme chevelue (Fran Dics, 2001). « Khorós » désigne le chœur polyphonique dans une tragédie grecque, c’est aussi une exploration des voies et des voix multiples conduisant à la création.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : La polyphonie créatrice de Berlinde De Bruyckere