Photographie

La photographie poing dressé au Centre Pompidou

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 9 janvier 2019 - 678 mots

PARIS

Dans un espace trop restreint pour ce vaste sujet, le musée réussit à faire la synthèse des usages militants de la photographie sociale et documentaire en France.

Paris.« La période 1928-1936 possède sa spécificité en propre dans l’histoire de la photographie », affirment Damarice Amao et Christian Joschke. Après quatre années de recherche à partir des collections du Musée national d’art moderne (Mnam) et de la Bibliothèque Kandinsky (entre autres), les deux historiens de l’art et de la photographie redonnent leur fonction aux images de cette période et leur engagement politique à leurs auteurs. « Le contexte politique de l’entre-deux-guerres a fortement influencé le milieu de la photographie parisienne », rappellent-ils avec Florian Ebner, responsable du département photo du Mnam, qui cosigne l’exposition.

Ils ne sont pas les premiers à le dire. Françoise Denoyelle, Michel Frizot, François Cheval ou Clément Chéroux soulignent depuis quelques années le contexte de travaux d’auteurs passés à la postérité ou non. Ce dernier a signé une rétrospective sur Henri Cartier-Bresson qui relève l’influence du communisme sur l’œuvre. Damarice Amao, elle-même, dans l’exposition « Eli Lotar » au Jeu de paume, a invoqué le militantisme communiste du photographe. Au Centre Pompidou, « Photographie Arme de classe » bénéficie cependant de bien moins d’espace pour développer son analyse sur la photographie sociale et documentaire en France de 1928-1936.

Peu d’espace pour un propos foisonnant

On peut d’ailleurs s’interroger sur les raisons de cette densité dans un format réduit alors que le sujet trouve un écho avec notre époque. Certes, un exercice de synthèse sur les 200 mètres carrés de la galerie de photographie s’avère difficile. C’est d’autant plus regrettable à la lecture du catalogue, mais aussi au regard des pièces des collections et archives retenues pour l’exposition. Pourtant les commissaires s’en sortent plutôt bien à condition de prendre le temps d’avancer pas à pas dans les différentes parties de leur récit. Car la manière dont la photographie ou un photomontage devient une arme de classe dans ces années-là, et se revendique comme telle, rassemble autant l’allégorie des grandes luttes sociales, la dénonciation de la misère, du fascisme et du colonialisme que la naissance de revues illustrées, l’influence du parti communiste et l’engagement politique de certains photographes. Ces images rappellent ce que l’histoire de la photographie – en se focalisant sur le surréalisme et la nouvelle vision qui émergent à cette époque – a oublié.

Revenir sur la création de la section photo de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) invite à lire ou redécouvrir les directives du manifeste Photographie, arme de classe d’Henri Tracol, édité en 1933 dans le premier numéro de la revue Cahier Rouge de l’AEAR. La photographie pour « servir les intérêts des exploités contre les exploitants » et le soutien aux Amateurs photographes ouvriers (APO) dans leur constitution d’archives illustrent la radicalité et l’esprit fraternel de l’association. Les défiances profondes de ces derniers vis-à-vis de l’AEAR et la propre production d’images des photographes amateurs de l’APO ne sont toutefois montrées qu’en filigrane. Faute d’espace, les divisions et affrontements idéologiques entre communistes et anarchistes, dont les luttes ouvrières en Allemagne et la guerre d’Espagne ont souffert, ne sont pas abordés, contrairement aux ramifications depuis l’Allemagne ou l’ex-Union soviétique de cette « arme de classe ».

Il s’agit ici avant tout de retracer autant les grandes lignes de la nouvelle rhétorique visuelle qui se met alors en place (et qui séduira tant les surréalistes) que de montrer leurs fonctions via les associations, les magazines de l’époque et les expositions à la galerie de La Pléiade qui soutiendront leurs auteurs. De Germaine Krull, Eli Lotar, Jacques-André Boiffard, André Kertész à John Heartfield, Willy Ronis, David Seymour, Nora Dumas ou Charlotte Perriand pour ne citer qu’eux, la fibre est militante. De la création du magazine Vu en 1928 au Front populaire et les premiers congés payés de 1936, ces photographes accordent un intérêt très relatif au monde rural et à ses propres luttes ou émeutes ; et quand il existe, il est marqué par une vision très germano-soviétique de l’éloge des corps et du travail aux champs. Photographie arme de classe, certes, mais d’une classe surtout.

Photographie Arme de classe,
jusqu’au 4 février 2019, Galerie de photographies, Centre Pompidou Place Georges Pompidou, 75004 Paris www.centrepompidou.fr

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°514 du 4 janvier 2019, avec le titre suivant : La photographie poing dressé au Centre Pompidou

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