La petite voix d‘Eugene Smith

L'ŒIL

Le 1 octobre 1998 - 497 mots

Les expositions consacrées à « Gene » Smith sont devenues rares. Porté au pinacle durant les années cinquante et soixante, le photographe américain a souvent été critiqué à l‘heure des relectures contemporaines.

Que ne lui a-t-on, alors, reproché ! Il aurait manipulé des mises en scène – Robert Doisneau a été victime de cette même censure photographiquement correcte –, notamment celle de la Veillée du corps du vieillard dans le village espagnol (1951). Il serait un tantinet pompier, il aurait tendance à trop lécher ses cadrages, à suresthétiser son propos. C‘est peut-être oublier un peu vite la place que tient ce grand reporter dans l‘histoire de la photo. Une place déterminante, par son influence sur une génération de baroudeurs. Après lui, le travail sur le terrain prend une autre dimension. Don Mc Cullin, Sebastiao Salgado et bien d‘autres sauront retenir la leçon magnifique de cet humaniste. Eugene Smith, né à Wichita, Kansas, en 1918, se fait d‘abord remarquer par son travail comme correspondant de guerre dans le Pacifique en 1944-45. Il y recevra d‘ailleurs une blessure qui l‘handicapera toute sa vie. De cette période, l‘on retiendra surtout l‘image de ce soldat américain tenant un bébé japonais mourant, sur l‘île de Saïpan. Le style d‘Eugene Smith est déjà manifeste dans cette photo : tension dramatique, espoir au milieu du chaos, acte généreux sobrement mis en lumière. Un peu plus tard, en Corée, il saisit le regard anxieux et fatigué des hommes sous le casque lourd. Le guerrier n‘est plus un héros de cinéma hollywoodien, mais un brave type qui aimerait mieux être ailleurs. Smith publie alors régulièrement ses reportages dans Life Magazine. À partir de 1948, il entame une nouvelle démarche et se lance dans la réalisation de véritables essais photographiques. Le premier prend pour personnage central un médecin de campagne, le docteur Ceriani, qu‘il suit au cours de ses tournées de consultations. Dans le même esprit, il raconte le travail d‘une sage-femme noire en 1951. Puis il se rend en 1954 à Lambaréné, auprès du Dr Schweitzer. Le monde médical et hospitalier est fréquemment présent dans son œuvre : blessé, il s‘identifie plus facilement à ces lieux où s‘expriment les valeurs de souffrance et de solidarité qui sous-tendent son action, nourrissent son regard. C‘est sans doute en pensant à lui que l‘on a créé l‘étiquette de concerned photography. L‘engagement de Smith trouve d‘ailleurs son aboutissement dans le long reportage qu‘il consacre en 1972 aux victimes de la pollution au mercure, à Minamata, au Japon. La photographie de la mère donnant le bain à Tomoko, son enfant déformé, a fait le tour du monde et contribué à donner gain de cause à la population de Minamata contre les pollueurs. Preuve, s‘il en était besoin, qu‘un peu de théâtralisation ne saurait nuire lorsqu‘il s‘agit de faire passer un message fort. « La photographie, disait-il peu avant sa mort en 1978, est une petite voix. Si elle est bien conçue, il lui arrive de se faire entendre ».

Hôtel de Sully, jusqu‘au 3 janvier, cat. 350 p., 590 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°500 du 1 octobre 1998, avec le titre suivant : La petite voix d‘Eugene Smith

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