La neuvième station de Matthew Barney

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 23 août 2010 - 558 mots

Sorti en salle en 2006, Drawing Restraint 9, le long-métrage étrange et sans paroles, met en scène l’artiste et sa compagne Björk au cours d’un étrange voyage au Japon. Faut-il en raconter la fin ?

Diffusé tous les jours à quatorze heures dans de très bonnes conditions (alors qu’il faut parfois se tordre le cou dans les salles d’expositions et stationner debout), l’opus de plus de deux heures réussit à happer le spectateur. Si Cremaster 3, barnum longuissime de trois heures, avait épuisé les rares et courageuses âmes qui s’étaient déplacées au cinéma, Drawing Restraint 9 parvient davantage à captiver.

Les douces mélopées de la chanteuse islandaise sur les paysages de la baie de Nagasaki donnent d’emblée le ton. Après un prologue animé par une parade donnée sur le port, le film déroule l’histoire des deux Occidentaux embarqués sur un baleinier, le Nisshin-Maru, en partance pour l’Antarctique. Sur le pont du gigantesque navire, du pétrole gélifié est coulé avant le départ dans un moule au motif du blason que Barney s’est inventé. Les températures plus froides figeront peu à peu le bassin peu ragoûtant en une masse au blanc laiteux. Pendant ce temps, le couple est pris en main par trois servantes en costume traditionnel : rituel de purification, rasage des sourcils, dépouillement des codes occidentaux. Les femmes oignent, fardent, ornent les deux corps comme s’ils étaient ceux de dieux.

La tradition japonaise se conjugue alors avec l’imagination débridée de Matthew Barney dans un étrange ballet de gestes languides. Fourrures, peaux de poulpes, oursins recouvrent bientôt les deux personnages destinés à fusionner dans une amputation réciproque, la violence de la scène étant contrebalancée par le traitement apaisé et onirique de l’image.

La salle 9 du rez-de-chaussée du Schaulager est dédiée à ce film et en présente une version condensée sur quelques minutes. Y trônent aussi un harpon et un couteau de baleinier en vaseline solidifiée. En bas, ce sont deux énormes sculptures qui font écho au film. Notamment Cetacea (2005), énorme forme molle et blanchâtre, entre graisse de baleine et matière fossile, qui se déploie sur le parquet comme dans un moment suspendu. Il s’agit de la forme moulée pendant le voyage, dont la prise de la matière est suivie à la loupe par la caméra. Certaines parties se sont depuis affaissées. La relique de cette épopée qui écrit la mythologie de Barney hésite alors entre deux états, l’héroïsme et le pathétique. À l’image du film, assurément schizophrène.

Le Schaulager

Le Schaulager à Bâle est un unicum dans le monde de l’art. Ce n’est pas un centre d’art car il dispose d’une importante collection d’art contemporain, et ce n’est pas vraiment un musée car ses collections ne sont pas ouvertes au public. Les œuvres sont simplement entreposées dans d’immenses salles fermées par des portes blindées, ouvertes uniquement aux chercheurs. Pourtant, le lieu séduit par son austérité autant que par son concept. Le nom lui-même a été créé sur mesure à partir de deux mots allemands, schauen (regarder) et lager (entrepôt). Construit en 2003 par les architectes Herzog et de Meuron pour le compte de la Fondation Emmanuel Hoffmann, il n’ouvre largement ses portes que pour de grandes expositions temporaires au moment de la foire de Bâle, comme pour l’actuelle exposition « Matthew Barney ». [Sur le Schaulager, lire la récente enquête sur les nouveaux musées dans L’œil n° 625].

Autour de l’exposition

Informations pratiques.
« Matthew Barney. Prayer Sheet With the Wound and the Nail », jusqu’au 3 octobre 2010. Schaulager, Bâle. Du mardi au vendredi, de 12 h à 18 h, jusqu’à 19 h le jeudi ; le week-end, de 10 h à 17 h. Tarifs : 9 et 10,5 e. www.schaulager.org 

Cremaster : Barney et ses sculptures au cinéma.
Dans les cinq films qui composent le cycle Cremaster (réalisés de 1994 à 2002), Matthew Barney interprète et met en scène des créatures hybrides, assemblages d’humains androgynes et de bêtes mythologiques. Acteurs et sculptures se meuvent et se transforment dans des décors baroques (Chrysler Building des années 1930, opéra de Budapest…), au gré de scènes métaphoriques qui abordent le thème de l’identité sexuelle, cher à Barney. Le 25 septembre, le Schaulager diffusera les cinq films à la suite (400 minutes).

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°627 du 1 septembre 2010, avec le titre suivant : La neuvième station de Matthew Barney

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