Mécénat

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La finance au service de l’art : un mécénat multiforme

Malgré des arbitrages vers l’humanitaire,le soutien à l’art reste très actif

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 5 décembre 1997 - 1932 mots

Depuis la fin des années quatre-vingt, les aides qu’accordent les établissements financiers aux opérations humanitaires ont pris de l’ampleur, se substituant souvent à celles allouées à la culture. Il est vrai qu’un tel mécénat est plus facilement compris par le personnel et que, parfois, le soutien à des artistes n’était que le fait du prince. L’un de ces revirements les plus représentatifs est celui de la Caisse des dépôts et consignations qui, après le départ de son directeur Robert Lion en 1993, a arrêté net tout achat pour sa collection d’art contemporain et ralenti pendant un temps ses opérations dans le domaine des arts plastiques, avant d’en redéfinir en partie la ligne. L’argument développé, notamment en 1993, était de redéployer ses interventions dans le social et dans l’humanitaire. Pourtant, les établissements financiers continuent largement à soutenir l’art, comme le montrent ces différents exemples, pris en Suisse, en Allemagne et en France.

Établissements respectables, garants d’une bonne gestion sans trop de risques, banques et assurances ont tout naturellement orienté leur mécénat en direction du patrimoine. La Hypo Kulturstiftung, à Munich, attribue tous les ans un prix pour la restauration d’un monument historique. Dans le même esprit, la Banque nationale de Paris (BNP) contribue depuis quelques années à la restauration de toiles de grands maîtres. Cette campagne a été lancée après le parrainage par la banque de l’exposition de la collection Barnes au Musée d’Orsay, en 1993. L’année suivante, elle a décidé de financer une campagne de restauration en partenariat avec une vingtaine de musées de province. Vingt-sept toiles en ont bénéficié, dont le Mariage de la Vierge du Pérugin, à Caen, l’Autoportrait de Francisco de Goya, à Agen, la Présentation de la Vierge au temple de Philippe de Champaigne, à Arras, et l’Apparition de la Vierge à l’Enfant Jésus à saint François d’Assise de Rubens, à Lille. Aujourd’hui, après trois ans de restauration, un Véronèse majeur est présenté au public du château de Versailles : Le repas chez Simon. L’œuvre monumentale de près de dix mètres de long, exécutée vers 1570, est accrochée dans le salon d’Hercule, à l’entrée des grands appartements.

Le Laboratoire de recherche des Musées de France (LRMF) et la BNP vont poursuivre leur collaboration en restaurant seize toiles d’ici l’an 2000. Les directions régionales de la banque ont elles-mêmes choisi les douze villes en lice et sont responsables localement de la coordination et du suivi des opérations. La participation financière de la BNP est cependant plafonnée à 200 000 francs par toile et le paiement fractionné en deux versements, le premier intervenant à la signature de la convention avec la ville, le second lors de l’achèvement des travaux. Les prochains programmes concernent des œuvres du XVIIe siècle – La descente de Croix de Pierre-Paul Rubens, au Musée des beaux-arts de Valenciennes – au début du XXe siècle, avec Léon Bonnat au milieu de ses élèves basques et béarnais d’Henri Achille Zo, au Musée Bonnat de Bayonne. La Banque de Neuflize, Schlumberger, Mallet (NSM) a également apporté un financement de la restauration des dessins de Pierre-Paul Prud’hon du Musée Condé, à Chantilly. Elle récompense aussi régulièrement des initiatives de restauration de demeures historiques, at a notamment apporté son concours au Musée Jaquemart-André. En revanche, le mécénat des banques et des sociétés d’assurances suisses présente l’originalité d’être principalement axé sur l’art contemporain.

Ces entreprises n’ont souvent pas de tradition dans ce domaine et leurs actions sont en majorité récentes. La Confédération n’a jamais eu de vie de cour ni de cercles d’artistes, à l’instar de la France, de l’Italie ou de l’Espagne. Dans ces pays, la bourgeoisie qui a pris les commandes politiques et économiques à la suite de la noblesse a essayé de se racheter une culture en suivant les goûts, souvent dépassés, de l’ancienne aristocratie. Il en va tout autrement en Suisse, où ce sont les artistes vivants qui sont les principaux bénéficiaires des actions de mécénat. Pour les banques et les sociétés d’assurances, ne pas sponsoriser des événements culturels serait perçu par leurs concitoyens comme une faute de goût, une inculture, et cet état d’esprit pousse même les plus petits établissements à soutenir, à la hauteur de leurs moyens, créateurs et manifestations culturelles. La Société de Banque Suisse (Schweizerischer Bankverein), dont le siège est à Bâle, est le principal sponsor de la Foire d’art contemporain – où elle décerne chaque année un prix d’art vidéo – et soutient le secteur du salon consacré plus spécialement à ce type d’expression artistique, pourtant réputé difficile. Outre la subvention de catalogues d’exposition, la Société de Banque Suisse apporte un complément financier ponctuel pour finaliser des acquisitions de musées. Dernièrement, elle a ainsi permis au Kunstmuseum de Zoug de faire entrer dans sa collection une peinture de Kurt Seligmann (1901-1962).

Cartes Visa et chèques livrés aux artistes
En parallèle, la banque a développé un mécénat plus directement lié à son activité de société financière. En 1993, elle avait demandé à Jean Tinguely d’intervenir sur l’une de ses cartes de crédit Visa. Désormais, tous les deux ans, trois artistes sont choisis par un petit comité d’employés. Les candidatures peuvent être spontanées, ou bien la banque s’adresse directement à un artiste, comme pour Rolf Knie. Les créateurs sont toujours suisses et de notoriété locale. Les clients intéressés par cette carte Visa particulière paient une cotisation annuelle majorée : 111 francs suisses, environ 445 francs français. Une initiative qui permet à la fois aux œuvres de circuler, aux artistes de percevoir une rémunération et aux acquéreurs de la carte de bénéficier de tarifs préférentiels sur les travaux du créateur. Le possesseur de la carte dessinée par Rolf Knie se verra accorder 10 % de réduction sur ses gravures et 5 % sur ses œuvres originales dans ses galeries de Zofingen et d’Ascona. En France,  la Banque Directe, fait appel à des photographes pour ses chéquiers. Une équipe détermine des thèmes (nature, eau, air, ville…) puis sélectionne les œuvres en fonction des critères pré-définis. Les auteurs des prises de vues ne sont pas rétribués mais disposent d’une diffusion à 85 000 exemplaires de leur curriculum vitae, qui est imprimé à l’intérieur du chéquier. Pour l’établissement financier, “cette action se transforme en mécénat” car le photographe peut ainsi étendre sa notoriété.

La photographie à l’honneur
La Fondation CCF (Crédit commercial de France) pour la photographie permet chaque année à deux photographes lauréats de publier une monographie chez Actes Sud et les accompagne pendant un an en organisant des expositions de leurs œuvres à Paris et en région. Les lauréats bénéficient également d’achats d’œuvres par la Fondation, qui entend se constituer ainsi progressivement une collection de clichés de photographes “travaillant sur des représentations du réel”. Tous les ans, un conseiller artistique – Jérôme Sans pour le “cru” 1998 – sélectionne dix dossiers parmi plus de 800, et le comité de la Fondation, composé de membres du CCF et de personnalités du monde des arts, choisit alors les deux lauréats. La Galerie de la Fondation d’entreprise NSM-Vie pour la photographie contemporaine n’est accessible que sur l’Internet, à l’adresse nsm-vie.fr. Elle permet de découvrir un travail photographique soutenu par la société d’assurances-vie et de capitalisation : au fil des pages, sont déployés les portraits noir et blanc des Immortels, les académiciens photographiés par Jean-Baptiste Huynh, qui ont fait l’objet d’un ouvrage édité par Actes Sud.

Des espaces d’exposition inédits
À côté de cette galerie virtuelle, de nombreuses banques organisent régulièrement des expositions dans leurs locaux. Elles mettent à la disposition des artistes des salles de réception, des halls d’entrée, des salles d’attente pour leurs accrochages. Dans la plupart des cas, ces initiatives émanent directement de l’agence, et les créateurs invités sont souvent des artistes travaillant dans la région. Le Crédit mutuel du Nord, à Villers-Cotterêts, accueille par exemple les photographies de Marie Le Maire et de Christophe Fouquet, tandis que la Banque SNVB (groupe CIC) expose dans ses locaux de la rue d’Aguessau, à Paris 8e, les peintures de Béatrice Boissegur. Certains établissements financent directement un espace d’exposition. C’est le cas de l’Espace Écureuil de la Caisse d’épargne Midi-Pyrénées, qui organise régulièrement, place du Capitole à Toulouse, des expositions temporaires, essentiellement d’artistes contemporains. Les directions régionales de la Caisse d’épargne sont d’ailleurs maîtresses de la politique de mécénat de l’entreprise, politique qui est décentralisée afin d’être à l’écoute des spécificités locales et des aspirations des directeurs. Conséquence : certaines régions sont plus actives que d’autres en la matière. La Hypo Kulturstiftung dispose à Munich, tout comme la Banque du Gothard à Lugano, d’un lieu d’exposition qui fonctionne comme une Kunsthalle. Quatre grandes manifestations de trois mois y sont organisées tous les ans. Un comité détermine souvent au préalable les thèmes abordés avant de faire appel à des spécialistes – historiens de l’art ou directeurs de musées –, les commissaires des expositions étant toujours invités. La sculpture et la peinture du vingtième siècle y sont en vedette, sans pour autant avoir l’exclusivité. Après l’exposition “Cobra”, organisée en partenariat avec le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, “La collection personnelle de Picasso” et “Gauguin et l’École de Pont-Aven” sont programmées pour 1998.

Des expositions archéologiques sur le Soudan – en coproduction avec l’Institut du monde arabe à Paris –, la Chine ou l’Égypte sont aussi proposées au public munichois. Plus classiquement, certaines banques mènent une politique de financement d’expositions. Après “Eugène Carrière” à Strasbourg et “Rodin, la Voix intérieure” à Marseille, la Banque de Neuflize, Schlumberger, Mallet a participé à la réouverture du Musée des beaux-arts de Lille. NSM, qui appartient au groupe de la première banque néerlandaise ABN-Amro, a également apporté sa contribution à “Kees van Dongen”, à l’Institut néerlandais de Paris, et  “Graveurs en taille-douce des anciens Pays-Bas”, au Musée du Louvre. Enfin, si l’UAP, devenu AXA-UAP, soutient depuis sa création et jusqu’à la fin de l’année la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris, la Fondation NSM-Vie pour la photographie contemporaine s’est associée au Centre national de la photographie.

Un soutien à la création
La Banque NSM favorise aussi la jeune création contemporaine en confiant à certains artistes la création d’”Étand’Art”, des fanions de 150 cm de haut sur 40 cm de large, et a commandé des éditions originales à tirage limité à Jean Le Gac et Olivier Debré en 1996, Raymond Hains et Alain Jacquet en 1997. La Caisse des dépôts et consignations, après avoir constitué ses collections d’art contemporain et de photographie, a entrepris en 1995 une politique d’aide à la production destinée à de jeunes artistes. Les œuvres sont toujours financées en partenariat avec des musées ou des centres d’art contemporain français. Souvent, les projets des jeunes créateurs sont relativement coûteux, trop en tout cas pour qu’ils puissent les assumer seuls. La Caisse accorde à certains d’entre eux, choisis sur dossier par une commission, une avance sur projet qui leur permet de financer des matériaux, des contributions techniques et du temps de travail. Ces aides ne sont accordées qu’à des artistes français ou résidant en France. Les pièces sont ensuite acquises par l’établissement financier et mises en dépôt pour dix ans dans des collections régionales. Dubbing, de Pierre Huygue, se trouve ainsi aujourd’hui au Frac Poitou-Charentes, à Angoulême.

La Caisse des dépôts aide également les artistes à réaliser des œuvres pour l’espace public, à l’image du programme d’affiches pour les panneaux de la rue des Bons-Enfants et la rue de Rivoli à Paris, en 1996. Enfin, depuis décembre 1996, elle a ouvert un “couloir”, 13 quai Voltaire, où sont régulièrement organisées pour un soir des expositions de jeunes artistes, en général le dernier jeudi de chaque mois. Une façon ingénieuse d’entretenir les bruits de couloir.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°49 du 5 décembre 1997, avec le titre suivant : La finance au service de l’art : un mécénat multiforme

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