La diplomatie, tout un art

Au Prado, les relations entre l’Espagne et l’Angleterre

Le Journal des Arts

Le 3 mai 2002 - 898 mots

Autour d’une soixantaine d’œuvres, le Prado confronte les notions d’histoire politique et
de collections d’art entre
les cours espagnole et britannique pendant
la première moitié
du XVIIe siècle. L’exposition « Les enchères du siècle. Relations artistiques entre Espagne et Grande-Bretagne (1604-1655) » reconstitue
les échanges culturels
et artistiques entre les
deux puissances par le biais
de leurs grands hommes.

MADRID (de notre correspondante) - Sous la direction de deux commissaires, habituels collaborateurs du Musée du Prado à Madrid – Sir John Elliot, historien de l’Europe du XVIIe siècle et Jonathan Brown, spécialiste de l’histoire des collections d’art des Temps modernes –, l’exposition “Les enchères du siècle. Relations artistiques entre Espagne et Grande-Bretagne (1604-1655)” illustre un demi-siècle d’échanges entre les deux monarchies. Rois, ambassadeurs, collectionneurs et artistes sont représentés par leurs portraits, tandis que les épisodes historiques les plus significatifs jalonnent le parcours de l’exposition par le biais de témoignages graphiques et de peintures. Réunies pour la première fois, ces œuvres font écho à l’ensemble ayant appartenu au roi d’Angleterre, résultant de cadeaux – Charles Ier d’Angleterre offre à Philippe IV d’Espagne le Moïse sauvé des eaux d’Orazio Gentileschi – ou d’achats. Après la victorieuse révolution anglaise de 1648, à l’origine de la vente aux enchères publiques des biens royaux – connue comme “les enchères du siècle” –, certaines pièces ont ensuite été achetées pour la collection de Philippe IV. Ce chapitre exceptionnel de l’histoire des collections en Europe a permis l’entrée dans le fonds royal espagnol d’un nombre important de pièces maîtresses de la peinture italienne.

À l’entrée de l’exposition, la Conférence de Somerset House de Juan Pantoja de la Cruz, provenant de la National Portrait Gallery à Londres, fait état de l’esprit qui a suivi le traité de paix de 1604. Conclu entre Jacques Ier Stuart et Philippe III d’Espagne et signé à Somerset House, ce traité a rétabli les relations diplomatiques rompues depuis 1588 et rapproché les deux pays.

Au cours d’une visite anonyme, le prince de Galles se rend en 1623 à la cour madrilène. Si son voyage fut un échec politique – il ne parvint pas à convenir d’un mariage avec l’infante doña Maria d’Autriche, sœur de Philippe IV et princesse catholique –, il fut une grande réussite sur le plan artistique. La visite de la collection royale espagnole fut, selon ses biographes, “l’expérience culminante de son éducation en tant que collectionneur”. Souhaitant égaler une telle magnificence, il entreprit de se constituer un ensemble de grande ampleur en acquérant une partie importante d’œuvres appartenant aux Gonzague. À la manière d’un cortège se succèdent dans l’exposition les portraits des deux suites royales qui s’étaient rencontrées à la cour. Du côté espagnol se dresse le portrait de Philippe IV peint par Vélazquez ainsi que celui de sa sœur, l’infante Doña Maria d’Autriche, tandis que du côté anglais figurent le prince de Galles dans un splendide portrait dû à Daniel Mytens ainsi que les grands collectionneurs et aristocrates qui l’accompagnaient à cette occasion, tel le duc de Buckingham représenté par Van Dyck à la manière d’un Adonis. À côté de ces toiles ont pris place certaines des acquisitions du prince de Galles : le tableau représentant Charles V et son chien par Titien ou encore Mars et Vénus de Véronèse, offert au duc de Lerma lors de son passage à Valladolid en rentrant de Grande-Bretagne. Deux natures mortes emportées à Londres par le prince sont aussi exposées ainsi que les manuscrits de Léonard de Vinci, jadis dans les mains de Juan de Espina et que le prince de Galles n’avait pu acquérir.

Consacrée à la décennie 1630-1640, la troisième section insiste sur le mécénat artistique dont l’essor est dû à Charles Ier d’Angleterre. En 1632, il nomme Van Dyck peintre de la cour et commande à Rubens les fresques de la Banqueting House, au palais de Whitehall, achevées en 1635. À cette même époque, le roi abandonne le marché de l’art aux membres de l’aristocratie anglaise ; aussi, Thomas Howard, deuxième comte d’Arundel, acquiert-il des portraits réalisés par Van Dyck et Rubens. Après la révolte de 1648 guidée par Oliver Cromwell, Charles Ier d’Angleterre est exécuté. La déroute et la mort du roi pendant la guerre civile anglaise ont pour conséquence l’avènement de la République et la mise en vente publique de ses propriétés mais surtout de la magnifique collection d’art que le roi avait constituée tout au long de sa vie. Par cette mesure, Cromwell espérait réunir suffisamment d’argent pour rembourser les dettes laissées par la monarchie, sans préjudice pour le trésor public. Ces “enchères du siècle” se sont ouvertes à l’automne 1649 et ont duré jusqu’en 1654. Plus de 1 570 tableaux ont été acquis par des collectionneurs anglais et étrangers, fait sans précédent jusqu’alors dans l’histoire de l’art. Désireux d’obtenir le meilleur de la collection, Philippe IV d’Espagne profite de cette opportunité. Aussi l’exposition se concentre-t-elle sur les œuvres acquises pour l’Espagne par don Luis de Haro, marquis du Carpio et ministre du roi, et son agent don Alonso de Cardenas, ambassadeur d’Espagne à Londres. Cette étape prospère pour la collection royale espagnole a ainsi ouvert la porte à des chefs-d’œuvre de Tintoret, Véronèse, Corrège, Mantegna, Andrea del Sarto ou Dürer.

- LES ENCHÈRES DU SIÈCLE. Relations artistiques entre Espagne et Grande Bretagne (1604-1655), jusqu’au 2 juin, Musée du Prado, Plaça del Prado, Madrid, tél. 34 91 330 29 00, tlj sauf lundi 9h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : La diplomatie, tout un art

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