fondation

Kandinsky l’européen

L'ŒIL

Le 1 février 2000 - 697 mots

De la fin des années 1890 jusqu’en 1921, Wassily Kandinsky travaille en Russie, son pays natal, et en Allemagne, entre Odessa, Moscou, Munich et Murnau. Autant de lieux qui dessinent la géographie de sa maturation artistique, avec un attachement particulier pour Moscou, le point de départ de ses recherches, son « diapason pictural », dont le souvenir hante les autres villes. Offrant un défi à toute lecture nationale de l’art, il puise ainsi sujets et techniques picturales dans les folklores et les traditions populaires russes et allemandes, jette un pont entre les cultures et contribue à assurer le lien entre les recherches des artistes européens et l’avant-garde russe en train de se constituer. C’est alors qu’il élabore sa théorie picturale, – l’idée de « nécessité intérieure », l’étude de l’action psycho-physiologique de la couleur, l’analogie entre la peinture et la musique, la synthèse des arts–, et opère dans son art une rupture progressive d’avec la figuration, sur le mode d’une abstraction libre, dite « lyrique », opposant lignes et masses colorées et affrontant des formes souples aux contours indéfinis. Il fonde ainsi l’une des deux branches de l’art abstrait, spirituelle, expressive et organique dans ses formes. Dès le début du siècle, Kandinsky s’implique progressivement dans la vie artistique russe. Ses œuvres sont montrées au public dans des expositions collectives (Salon d’Odessa en 1910). Ses textes, chroniques de la vie artistique allemande ou textes théoriques, paraissent dans différentes revues (Mir Iskousstva ou Apollon) et sont lus au cours de conférences (Congrès panrusse des peintres en 1911). Après la Révolution de 1917, réfugié en Russie à la suite de la Première Guerre mondiale, il prend part à la fondation des institutions artistiques du nouveau régime,
et inscrit ainsi ses principes de création à la base même de l’enseignement artistique : l’Inkhouk (Institut de la culture artistique de Moscou, créé en 1920), le Musée de la Culture artistique de Moscou qu’il dirige entre 1919 et 1920, et l’Académie des Sciences artistiques (Gkhan, créée en 1921) modèlent l’approche de l’art de la génération suivante. Par ce biais, les postulats théoriques de Kandinsky se diffusent assez largement ; la synthèse des arts en particulier n’a jamais semblé aussi proche d’être réalisée, aussi bien dans les programmes d’enseignement artistique que dans le théâtre expérimental, ou encore dans l’élaboration d’un nouvel art monumental.
Toutefois, du fait de différences de génération, de formation ou de caractère, Kandinsky ne s’intègre pas à l’avant-garde russe et ne fait pas école, suscitant certes dans son sillage des imitateurs, mais pas de talents originaux. Parmi ses suiveurs, citons Bobrov, à qui l’on doit surtout la conservation des archives photographiques et de l’inventaire de l’œuvre de Kandinsky. Si son impact théorique est indéniable, l’influence formelle de Kandinsky sur les artistes russes, outre ses disciples, apparaît nettement moins évidente, et de la confrontation de leurs œuvres on conclut rapidement à une opposition radicale. Des convergences, certes, se font jour : la dimension symboliste et théosophique de l’art de Kandinsky apparaît dans les œuvres de Petrov-Vodkine ainsi que chez Malevitch ; les artistes de l’avant-garde russe partagent en outre un même intérêt pour les arts populaires, dans une recherche de primitivisme et d’authenticité symptomatique du début du siècle. Mais si l’on cherche un dénominateur commun visuel aux recherches de Kandinsky et de la jeune école russe, c’est sans aucun doute dans l’importance de la couleur et dans les méthodes d’analyse formelle qu’on le trouvera. Les œuvres de Ladovski, Popova, Korolev, Rodtchenko et Stepanova, passés par l’Inkhouk, ne retiennent de ses principes que la logique formelle analytique. Elles rompent en revanche nettement avec le symbolisme, rejettent la primauté de l’émotion intérieure et optent résolument pour une abstraction géométrique dérivée des principes cubistes et futuristes et à rebours de l’abstraction lyrique. L’héritage paradoxal de Kandinsky pourrait se trouver résumé dans la discussion qu’il lance à l’Inkhouk avant son départ en 1920, à la suite de divergences avec les tenants du suprématisme : composition ou construction ? Et si l’avant-garde russe choisit la seconde option, le germe ne s’en trouve pas moins, en partie, dans l’activité de théoricien et d’organisateur de Kandinsky.

MARTIGNY, Fondation Gianadda, jusqu’au 12 juin, cat. 336 p., 140 ill., 249 F.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°513 du 1 février 2000, avec le titre suivant : Kandinsky l’européen

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