Jean-Paul Goude : « C’est la publicité poème qui m’intéresse »

Par Anouchka Roggeman · L'ŒIL

Le 28 août 2007 - 1034 mots

Ses créations font partie du patrimoine publicitaire mondiale. Pour Kodak, Chanel, les Galeries Lafayette… Depuis plus de trente ans, Jean-Paul Goude imprime sa marque sur notre quotidien.

Peut-on dire qu’une affiche publicitaire est une œuvre d’art ?
Jean-Paul Goude : Tout dépend de sa qualité. Je n’ai aucun préjugé envers les disciplines artistiques quelles qu’elles soient. Je juge une œuvre pour l’originalité de son concept, sa fraîcheur et la maîtrise avec laquelle elle est réalisée et qu’on parle d’un tableau, d’une sculpture ou d’un film, c’est leur qualité qui m’intéresse. En ce qui concerne l’affiche, c’est la même chose.

Vous définissez-vous comme un artiste ou un publicitaire ?
Ni comme l’un, ni comme l’autre ; ou les deux à la fois. Même si je manipule des techniques diverses très souvent destinées au grand public, ma démarche est d’ordre artistique. Je suis un artisan de l’image, qu’elle soit purement commerciale ou élitiste. La publicité est un moyen d’expression tout à fait valable à condition de ne pas en être la victime.

Vous a-t-on jamais reproché de ne faire que de la publicité ?
Mais je ne fais pas que ça. Cela dit, c’est vrai que même si depuis quelques années j’ai beaucoup travaillé pour les Galeries Lafayette, je n’aime pas beaucoup être pris pour un « pubard ». C’est un terme trop réducteur. La recherche de l’effet pour l’effet, le sensationnalisme gratuit, ce qu’on a appelé et qu’on appelle encore la « publicité spectacle », ne m’intéresse pas. Ce que j’essaye de faire, même si ça n’est qu’à travers la publicité, c’est d’exprimer un univers qui m’est propre. Si je ne craignais pas de paraître présomptueux, je dirais plutôt que c’est la « publicité poème » qui m’intéresse. Je pense à Prévert ou Cocteau qui ont tous deux fait de la publicité.

Vous réalisez, tous les mois depuis 2001, une affiche différente pour les Galeries Lafayette. Ne vous lassez-vous pas ?
Ma relation avec les Galeries Lafayette est devenue une espèce de jeu doublé d’une devinette : Combien de temps cette campagne va-t-elle durer ? Quand le public se lassera-t-il ? À l’origine, la campagne était prévue pour un an, et si – presque sept années plus tard – nous sommes toujours là, c’est peut-être parce que nous avons trouvé le ton juste.

Qu’est-ce qui vous intéresse ?
Tout ce qui tourne autour du corps, l’anatomie, le rythme, la coordination physique, l’illusion, l’artifice.

Pour vous quel est le secret d’une bonne affiche ?
Qu’elle soit épatante ; car si je suis moi-même épaté, il y a des chances pour que d’autres le soient aussi.

Où trouvez-vous vos idées ?
Tout est bon, même les lieux communs, les clichés qu’il m’arrive souvent de détourner. Je pense que mon enfance continue – malgré le poids des années – à jouer un rôle prépondérant dans cette drôle de carrière qui est la mienne.

La danse semble vous avoir beaucoup influencé. Auriez-vous aimé être danseur ?
Ma mère, ancienne danseuse dans les récitals de Broadway, dirigeait un cours de danse à Saint-Mandé, ma ville natale. C’est donc tout naturellement que vers seize ans, une fois débarrassé de mes complexes machistes à l’égard d’une discipline que je jugeais par trop féminine, j’ai été tenté. Heureusement pour moi, je ne possédais pas l’équipement de base nécessaire pour ce genre de carrière. Trop petit, pas assez athlétique, et surtout loin d’être disposé à travailler le répertoire classique, je me suis tourné vers ce que je faisais de moins mal, c’est-à-dire le dessin.

Quels sont les impératifs que vous devez respecter pour réaliser une affiche publicitaire ?
Son format, son emplacement, sa composition, son impact, sa justesse de ton par rapport au sujet à traiter.

Depuis quand faites-vous des affiches publicitaires ?
Depuis mes années d’étude aux Arts déco. J’ai eu la chance de commencer jeune. À vingt ans, j’avais déjà de nombreux clients dont les magasins du Printemps, Dim qui s’appelait alors « Les bas Dimanche, Franck & Fils », une affiche dont j’étais très fier parce qu’elle était placée au-dessus du Grand Rex à Paris. Cela dit, à vingt-cinq ans, j’étais déjà démodé. Heureusement – encore un coup de chance – on m’a invité à prendre la direction artistique d’un grand magazine américain.

Pensez-vous qu’il faut une célébrité pour qu’une affiche ait du succès, comme Laetitia Casta qui a été votre muse pendant plus d’un an ?
Pas du tout, mais ça peut être une valeur ajoutée. En ce qui concerne Laetitia Casta, l’idée de l’agence était d’en faire mon égérie, et que ça se sache, surtout auprès du grand public. Si j’admirais – de loin – sa grande beauté, elle me semblait ne correspondre en rien à mes critères habituels en matière d’égérie.
C’est seulement quand je l’ai rencontrée, et que j’ai découvert la petite fille sous la pin-up, que j’ai été réellement motivé. J’ai voulu démontrer qu’elle est plus intéressante qu’on ne le pense. De plus, la mode étant à l’époque aux lolitas boudeuses et aux images un peu glauques, j’ai voulu privilégier sa bonne humeur et surtout son sourire – le sourire étant à l’époque un tabou absolu auprès des publicitaires branchés ou se voulant comme tels.

Pourtant on ne voit toujours pas beaucoup de mannequins sourire dans les annonces de publicité…
L’idée était pour nous de tenter de précéder la mode et nous avons voulu marquer notre territoire et celui du magasin en plébiscitant une imagerie improbable… jusqu’au prochain cycle. Quand l’heure sera au sourire généralisé, il sera peut-être temps de penser à raviver la moue boudeuse et les images glauques.

Quels sont vos projets ?
On parle d’une rétrospective en 2009 au musée des Arts décoratifs et d’une autre à New York la même année. Tout ça va nécessiter au moins un an de préparation. J’espère avoir la force de caractère de m’y investir à fond. 

Biographie

1940 Naissance de Jean-Paul Goude. 1964 Devient illustrateur pour les magasins du Printemps. 1970 Directeur artistique du magazine américain Esquire. 1980 Dans les années 1980, il rencontre Grace Jones, son égérie et mère de son fils. 1983 Il crée la nouvelle identité visuelle de Kodak incarnée par trois petits personnages zébrés de rouge et de blanc. 1989 Le gouvernement le charge du défilé du bicentenaire de la Révolution française, à Paris. 1992 Pour Chanel, il signe la campagne Coco, avec Vanessa Paradis. 2001 Depuis cette date, Goude est le directeur artistique des campagnes publicitaires des Galeries Lafayette.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Le tour du monde de la pub », jusqu’au 14 octobre 2007. Commissariat”‰: Réjane Bargiel. Les Arts décoratifs, musée de la Publicité, 107, rue de Rivoli, Paris Ier. Métro”‰: Palais-Royal ou Pyramides. Ouvert du mardi au vendredi de 11 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h, le samedi et le dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs”‰: 8,50 € et 6,50 €. Tél. 01”‰44”‰55”‰57”‰50, www.museedelapub.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : Jean-Paul Goude : « C’est la publicité poème qui m’intéresse »

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