Art moderne

Redécouverte

James Tissot sous influence

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2006 - 773 mots

NANTES

Le Musée des beaux-arts de Nantes revient sur le parcours inspiré de James Tissot. Une réhabilitation bienvenue après un siècle d’oubli.

NANTES - Ne vous fiez pas à son prénom à consonance britannique, James Tissot était nantais. L’immense célébrité dont il a joui au XIXe siècle n’a d’égal que l’oubli dans lequel il est resté jusqu’en 1985, date de sa première rétrospective française. À travers « James Tissot et ses maîtres », le Musée des beaux-arts de Nantes rend un juste hommage à cet enfant du pays.
Dans une logique de tabula rasa, l’aube du XXe siècle en France a eu raison de James Tissot (1836-1902). L’artiste a pourtant été extrêmement populaire de son vivant, tant en France qu’aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, une réussite qui tenait autant à son talent artistique qu’à son intelligence sociale et à son sens aigu des affaires. Très tôt, Tissot saisit l’intérêt commercial de la reproduction, fût-elle estampe ou photographie, alors spécialité de la maison Goupil. De la même manière, il refusa d’intégrer l’exposition du groupe impressionniste en 1874, ce malgré la profonde amitié qui le liait à Edgar Degas. Mais l’ambition dévorante de Tissot n’est pas le propos de l’exposition. Son commissaire, Cyrille Sciamma, a préféré montrer ses influences et ses inspirations.

Psychologie
Élève de Louis Lamothe et d’Hippolyte Flandrin, deux maîtres sortis du giron de Jean-Auguste Ingres, le jeune Jacques-Joseph Tissot (il changera son prénom en James à l’âge de 21 ans) débute sa carrière par des scènes historiques médiévales inspirées par les gravures allemandes. Si ces sujets permettent à ce fils de marchand de mode de dépeindre des étoffes et des costumes d’époque (La Rencontre de Faust et de Marguerite, 1860 ; Tentative d’enlèvement, vers 1865), ses compositions esquissent déjà son penchant pour la psychologie, qui deviendra son fonds de commerce. Après une apparition remarquée à la Royal Academy de Londres en 1864, Tissot s’installe dans la capitale britannique en 1871. Le succès ne se fait pas attendre : il est de tous les cercles et croule sous les commandes.

Un Français à Londres
Rigide à souhait, le système anglais de classes sociales se dresse tel un terrain de jeu pour le Français qu’est Tissot. Il emboîte le pas à Hogarth dans sa critique de l’aristocratie et de la bourgeoisie. Avec des titres souvent très parlants, ses œuvres perpétuent la tradition narrative anglo-saxonne, tout en gardant une souplesse d’interprétation. Quelles sont les pensées imbibées d’alcool de ce jeune matelot, à qui un capitaine vient de proposer son enfant dans La Fille du capitaine (1873) ? Que cache le regard vide de cette jeune femme entourant de ses bras un officier, visiblement accablé, dans Mauvaises nouvelles (1872) ? La lecture de ces compositions était évidemment plus aisée pour les contemporains de Tissot, qui reconnaissaient la prostituée dans la jeune femme si bien apprêtée du Bal (1883-1885).
Cette vision mordante, et parfois très drôle, de la vie quotidienne des Britanniques cache un pendant plus intime. L’univers de Tissot est peuplé de femmes, ou plutôt d’une femme, Kathleen Newton, jeune mère divorcée dont il s’est follement épris et qu’il n’aura de cesse de mettre en scène. On la reconnaît dans des séries d’eaux-fortes aux titres métonymiques : L’Éventail, Le Hamac, Le Journal, Rêverie, Le Chapeau Rubens… Si l’art du Japon permet à l’artiste de céder à une vague exotique riche en motifs et en couleurs, l’esprit préraphaélite plane sur de nombreux portraits de la jeune femme. La touche impressionniste singularise la très ambiguë Lecture dans le parc (vers 1881). Fleurs rouges au creux de la poitrine et regard de braise, Kathleen Newton attise pour mieux interdire en croisant fermement les bras sur les genoux. Contrairement à son contemporain Auguste Toulmouche, qui excellait dans l’illustration de ravissantes idiotes, Tissot fait ressentir l’ennui et la frustration de ces femmes confinées à la sphère domestique. Fasciné par le Portrait de Mme de Sennones (1814) d’Ingres, également présenté dans l’exposition, il emprunte au maître ses atmosphères intimistes et ce souci du détail dans les toilettes et les bijoux.
La dernière passion de James Tissot fut religieuse. Après la révélation qu’il vit en l’église parisienne de Saint-Sulpice en 1884, deux ans après le mort de Kathleen Newton, il se consacre à l’illustration de la vie du Christ. Moins intéressante sur le plan artistique, cette nouvelle voie n’est que brièvement évoquée à Nantes.

JAMES TISSOT ET SES MAÎTRES

Jusqu’au 5 février, Musée des beaux-arts de Nantes, 10, rue Georges-Clemenceau, 44000 Nantes, tél. 02 51 17 45 00, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-18h (jusqu’à 20h le jeudi). Catalogue coédité par le musée et les éditions Somogy, 200 p., ISBN 2-85056-923-2, 33 euros.

JAMES TISSOT ET SES MAÎTRES

- Commissaire : Cyrille Sciama, conservateur du patrimoine au Musée des beaux-arts de Nantes - Nombre d’artistes : une douzaine (Ingres, Dürer, Helleu, Blanche, Hiroshige…) - Nombre d’œuvres : 130 (32 huiles, 75 eaux-fortes, 8 estampes japonaises…) - Nombre de salles : 5

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : James Tissot sous influence

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