Inauguration du Rijksmuseum, nous y étions

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 23 mai 2013 - 1394 mots

En avril, vingt mille visiteurs se sont pressés le jour de l’inauguration pour retrouver, magnifiée dans une scénographie de Wilmotte, leur « cathédrale » construite à la gloire de l’art hollandais.

Cela faisait dix longues années que les Néerlandais l’attendaient ; le 13 avril, le Rijksmuseum a rouvert ses portes, enfin, après des travaux pharaoniques. Ainsi, malgré la météo maussade, plusieurs dizaines de milliers de visiteurs se sont massés sur l’esplanade du musée pour assister à son inauguration, en grande pompe, par la reine Beatrix. L’ambiance était à la fête ; au son des fanfares et des feux d’artifice, la souveraine, sur un tapis non pas rouge mais orange, couleur nationale oblige, a officiellement ouvert le musée au public. Celui-ci a littéralement été envahi par les quelque vingt mille visiteurs qui s’y sont pressés le premier jour, à tel point que, par moments, la file d’attente atteignait les… 200 m de long. Qu’importe l’attente et la pluie, le public était galvanisé par cet événement de taille ; le « Louvre » des Pays-Bas, qui compte parmi les dix plus belles collections au monde grâce à ses inestimables peintures hollandaises, dont ses icônes La Laitière de Vermeer et La Ronde de nuit de Rembrandt, dévoile sa splendeur retrouvée.

Un Rijks devenu inadapté
Au terme d’un chantier de dix ans, d’un coût de 375 millions d’euros, le musée révèle donc un écrin entièrement rénové et un accrochage inédit. Il faut dire que l’imposant monument néogothique, construit en 1885 par Pierre Cuypers pour réunir les collections nationales d’art et d’histoire, appelait une refonte complète. Conçu pour accueillir deux cent mille visiteurs annuels, il était devenu obsolète face à l’enrichissement de ses collections et une fréquentation multipliée par six.
Pour pallier le manque d’espace et juguler le flux de touristes, des mezzanines et des cloisons avaient progressivement phagocyté le bâtiment, y compris ses emblématiques cours intérieures, occultées et transformées en salles d’exposition. « Le Rijks était devenu sombre, surchargé et labyrinthique ; bref, totalement inadapté au XXIe siècle », a rappelé son directeur, Wim Pijbes, aux très nombreux journalistes invités à la présentation, en avant-première.
Et c’est véritablement un tout nouvel édifice qu’a découvert le public, un endroit délesté de ses multiples adjonctions et à l’organisation totalement repensée. Une renaissance qui a été largement ralentie par des problèmes d’urbanisme, le projet du cabinet d’architectes Cruz y Ortiz de relier les deux ailes, en condamnant l’allée centrale, utilisée comme piste cyclable, ayant suscité l’ire des Amstellodamois. Le plan original a ainsi été modifié pour creuser un passage, sous la piste, afin de réunir les deux cours excavées en un vaste et lumineux atrium, regroupant tous les services nécessaires à l’accueil des deux millions de visiteurs escomptés.
Seule fausse note dans cet espace élégant, où briques anciennes et aménagements contemporains en pierre claire se marient harmonieusement, les immenses lustres blancs contrôlant l’éclairage et l’acoustique. Ces étranges suspensions, occupant toute la largeur des verrières, ont, pour le moins, dérouté les premiers visiteurs, qui les ont, d’ores et déjà, rebaptisées « l’étendage ».

Un accrochage inédit et novateur
Entièrement redistribué dans des salles spacieuses, l’accrochage a également été allégé et ne présente plus que huit mille pièces contre treize mille avant travaux. Une sélection plus pointue et plus lisible, répartie dans un nouveau circuit, qui à travers quatre-vingts salles, sur quatre niveaux, déroule 800 ans d’histoire. Écrémées, les collections ont également été redéployées dans une perspective contextuelle mêlant peintures, sculptures et objets d’art d’une même période. Un principe dynamique qui apporte cohérence et fluidité à un édifice extrêmement contraignant, qui impose plusieurs ruptures chronologiques.
Alors que le rez-de-chaussée abrite les collections asiatiques, dans un nouveau pavillon extérieur, et les départements des Objets d’art et du Moyen Âge et de la Renaissance, au premier étage, à leur grande surprise, les visiteurs n’ont en effet pas trouvé le XVIIe, mais les XVIIIe et XIXe siècles. Il leur a fallu gravir le majestueux escalier d’honneur, jusqu’au deuxième étage, pour découvrir le Siècle d’or. La collection la plus prestigieuse du musée ne pouvait être déplacée, car l’étage a été spécifiquement pensé par Cuypers pour l’accueillir. Enfin, sous les combles, petite nouveauté, quatre salles, franchement anecdotiques, sont dédiées au XXe siècle.
Malgré cette gymnastique, physique et intellectuelle, le parcours se révèle passionnant, et ce, dès les premières salles, conservant les objets d’art, pourtant les collections les moins glamour. La scénographie de Jean-Michel Wilmotte y est pour beaucoup ; ses dispositifs de présentation très inventifs – des armes semblant flotter dans des vitrines presque invisibles ou une collection de bateaux miniatures transformée en une insolite armada – rendent la visite ludique et rythmée. Évidemment, le muséographe a accordé une large place à la couleur devenue, avec Orsay, sa marque de fabrique. De la perle à l’ardoise, les salles du nouveau Rijksmuseum déclinent une multitude de teintes de gris, « des couleurs fortes, qui surprennent à première vue, mais qui deviennent vite naturelles tant elles exaltent la lumière des œuvres », explique le muséographe.
Et le visiteur va, effectivement, de surprise en surprise. Car hormis ce département, où les salles sont organisées par matériaux, les autres jouent, au contraire, la transversalité. L’accrochage établit ainsi constamment des dialogues, souvent savoureux, entre différents médiums, à l’image de ces coupes ouvragées présentées face à des tableaux de buveurs. D’autres rapprochements fonctionnent davantage à la manière de fenêtres ouvertes sur une époque, telle la belle salle dédiée aux œuvres de jeunesse de Rembrandt, où ses tableaux, dont le célèbre Autoportrait, côtoient des pièces réalisées par ses amis, notamment le mobilier en ébène de Herman Doomer.
Cette transversalité, qui permet d’animer la visite et d’atténuer les lacunes de certains départements, sert tout particulièrement la collection du XVIIIe, jusque-là dans l’ombre du Siècle d’or. Son superbe mobilier y est parfaitement mis en scène, avec une mention spéciale pour l’éblouissante salle rococo et les très réussies period rooms. Même le XIXe siècle, département pourtant assez inégal, réserve de belles découvertes, entre autres, une section consacrée à l’impressionnisme néerlandais, où les objets japonisants entretiennent une conversation féconde avec les tableaux de Van Gogh.

Le temple du Siècle d’or
Mais le temps fort de la visite reste, incontestablement, les salles dédiées au XVIIe siècle, la période la plus insigne de l’art hollandais. Et si le spectateur en doutait, le décorum finit de l’en persuader. Cuypers avait, en effet, orné l’étage réservé au Siècle d’or d’un foisonnant décor historiciste, jusqu’ici recouvert d’épais badigeons blancs, que les restaurateurs ont restitué dans l’escalier d’honneur, le hall et la nef. Ici, tout chante la gloire des artistes hollandais : sol en marbre et mosaïque, voûtes gothiques piquetées d’étoiles et peintures murales historiées répondant à d’impressionnants vitraux, arborant les portraits des peintres les plus célèbres.
En tout, pas moins de trente salles célèbrent les protagonistes de cette époque fastueuse : Pieter De Hooch et ses scènes intimistes, Frans Hals et ses portraits expressifs ou encore Jan Steen et ses bamboches, mais surtout les stars pour lesquelles les touristes se pressent au Rijksmuseum : Vermeer et, bien sûr, Rembrandt, dont le musée possède vingt-cinq pièces parmi lesquelles la célèbre Ronde de nuit. « Joconde » du musée, cette œuvre monumentale – 379 x 453 cm –, qui représenterait une milice amstellodamoise, a été replacée, parmi d’autres tableaux de gardes civiques, dans la salle spécifiquement créée pour l’accueillir. Une précision loin d’être anecdotique, puisque tout l’étage a été conçu pour magnifier ce tableau, accroché à la manière d’une icône à l’extrémité d’une longue galerie d’honneur, semblable à une nef avec ses chapelles.
D’ailleurs, selon les aveux mêmes de l’architecte, le musée tout entier, avec son organisation et son apparat grandiloquent, a été imaginé comme « une cathédrale » à la gloire de la peinture hollandaise et de son idole, Rembrandt. Ce caractère ouvertement catholique, dans un pays alors majoritairement protestant, explique sa mauvaise réception et le boycott du roi Guillaume III, qui avait refusé d’inaugurer ce qu’il décrivait comme un « couvent ». En faisant de sa réouverture le dernier acte public de son règne, son arrière-petite-fille, la reine Beatrix, a réparé cette injustice.

Repères

1800 La Nationale Kunstgalerij, premier musée public néerlandais, ouvre ses portes à La Haye.

1808 Le nouveau roi Louis Bonaparte ordonne le transfert des collections à Amsterdam, la nouvelle capitale.

1885 Ouverture du Rijksmuseum érigé par Pierre Cuypers.

1908 Le musée acquiert La Laitière de Vermeer

2003-2013 Fermeture pour travaux.

Autour du Rijksmuseum

Informations pratiques. Le Rijksmuseum à Amsterdam. Ouvert tous les jours de 9 h à 17 h. Tarifs : 15 et 7,50 euros. www.rijksmuseum.nl Le Musée Van Gogh, l’autre réouverture. Fermé pour rénovation depuis le mois de septembre 2012, le Musée Van Gogh d’Amsterdam a lui aussi rouvert ses portes au public le 1er mai. La totalité des œuvres de l’artiste, dont une partie était présentée pendant les travaux à l’Hermitage, ont retrouvé leurs cimaises, comme les célèbres Tournesols. À l’occasion de la réouverture, l’exposition « Van Gogh au travail » explore la manière du peintre à travers plus de 200 œuvres, lettres, dessins et objets personnels, dont l’unique palette conservée de l’artiste et prêtée, pour l’occasion, par le Musée d’Orsay (jusqu’au 12 janvier 2014, www.vangoghmuseum.nl).

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°658 du 1 juin 2013, avec le titre suivant : Inauguration du Rijksmuseum, nous y étions

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