Bande dessinée

Il était deux fois Goscinny à Paris

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 21 décembre 2017 - 725 mots

PARIS

La cinémathèque et le Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacrent deux expositions remarquables sur le scénariste d’Astérix, Lucky Luke, Iznogoud…

Il y a quarante ans nous quittait un monstre sacré de la bande dessinée : René Goscinny (1926-1977). Pour rendre hommage à ce scénariste hors pair, cocréateur des légendaires Astérix, Lucky Luke, Iznogoud et autre Petit Nicolas et véritable phénomène culturel – Goscinny, c’est 500 000 livres et albums vendus dans le monde, des œuvres traduites en 150 langues, une centaine d’adaptations cinématographiques, etc. –, deux institutions parisiennes s’associent pour révéler la personnalité singulière, relativement méconnue, qui se cache derrière l’ampleur d’une telle œuvre populaire, faisant se croiser, avec un goût immodéré pour la parodie, bande dessinée, littérature contemporaine et cinéma.

Au-delà de la bande dessinée

D’un côté, « Au-delà du rire », au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (MAHJ), propose de revenir sur la biographie de cet écrivain, fils d’émigrés juifs originaires de Pologne et d’Ukraine qui, au croisement de ses exils argentin et nord-américain, n’a cessé de se plonger dans le pur classicisme de la tradition française. De l’autre, le temple du 7e art qu’est la Cinémathèque française rend hommage au 9e art en montrant combien René Goscinny, passionné par le cinéma dès son enfance, s’est inspiré dans ses BD des plus grands chefs-d’œuvre cinématographiques, péplums, westerns et comédies musicales.

C’est peu dire que ces deux manifestations, accompagnées par des catalogues de qualité, réussissent parfaitement, en se complétant idéalement – la première est pointue, la deuxième plus ludique et interactive –, à traduire le génie scénaristique d’un tel créateur, disparu bien trop tôt, à l’âge de 51 ans. Si la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême a par le passé célébré, comme le rappelle Jean-Pierre Mercier, commissaire général de l’exposition de la Cinémathèque, des scénaristes tels Jacques Lob et Jean-Michel Charlier, il n’est pas évident de consacrer un événement visuel à un homme… de l’écrit. Toutefois, avec Goscinny, le pari a été vite relevé, et ce, pour plusieurs raisons. Premier constat, René a commencé sa carrière comme dessinateur et il continuera à dessiner jusque dans les années 1950. Après, étant, il faut bien l’avouer, un piètre dessinateur, il passera la main à des virtuoses du trait comme Jijé, Morris, Uderzo et Sempé, afin de se consacrer pleinement à l’activité dans laquelle il excelle : scénariser. Aussi, du visuel « pur jus », parfait pour accrocher le regard dans un parcours de visite, l’exposition en propose : la Cinémathèque dévoile ainsi les premières œuvres graphiques de Goscinny, réalisant à 15 ans des gouaches fidèlement inspirées de l’univers de Blanche-Neige et de Pinocchio, ainsi qu’une série effectuée plus tard, au milieu des années 1940, de caricatures de stars hollywoodiennes.

De son côté, le MAHJ dévoile des feuilles de Goscinny, imprégnées des échos de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que d’honnêtes illustrations réalisées au cours de son exil à New York (1945-1951) lorsqu’il a tenté vainement, fasciné qu’il était par le créateur de Mickey, une carrière dans le cinéma d’animation.

Le scénariste comme metteur en scène et compositeur

Manifestement, René Goscinny est tout autant un homme du verbe que de l’image : « Je crois qu’il faut écrire pour la bande dessinée comme il faut écrire pour le cinéma. » Ce « Walt Goscinny », dixit Gotlib, conçoit les cases comme autant de plans dynamisant son récit. Comme il se doit, la Cinémathèque, en immergeant les visiteurs dans des scénographies spectaculaires imitant une salle de cours, un musée d’antiquités égyptiennes ou encore un saloon, ne manque pas, à grand renfort d’éléments visuels (scénarios tapuscrits annotés, costumes et décors, planches originales, affiches, films) de révéler l’importance du cinéma dans l’œuvre du scénariste ; à ce titre, les parallèles entre des albums cultes de « l’homme qui tire plus vite que son ombre » et des extraits de westerns signés John Ford, puis entre le petit Gaulois Astérix et des péplums (Ben Hur, Cléopâtre, Satyricon) sont tout bonnement passionnants. Enfin, sans bénéficier des moyens de la Cinémathèque, le MAHJ, sous la houlette de la commissaire Anne-Hélène Hoog, nouvelle directrice du Musée de la BD d’Angoulême, ne manque pas de rappeler, en commençant et en concluant la rétrospective par la monstration de machines à écrire, que c’est simplement en tapant des lettres sur un clavier, tel un zetser (typographe ou compositeur), que René Goscinny a accompli une telle œuvre de génie.

 

« Goscinny et le cinéma, Astérix, Lucky Luke & Cie »,
jusqu’au 4 mars 2018. La Cinémathèque française, Musée du cinéma, 51, rue de Bercy, Paris-12e. Fermé le mardi. Tarifs ; 8,50 à 11 €. Commissaires : Frédéric Bonnaud, Jean-Pierre Mercier et Aymar du Chatenet. www.cinematheque.fr
« René Goscinny (1926-1977), Au-delà du rire »,
jusqu’au 4 mars 2018. Musée d’art et d’histoire du judaïsme, hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, Paris-3e. Fermé le lundi. Tarifs : 5 et 8 €. Commissaires : Anne-Hélène Hoog, Virginie Michel. www.mahj.org

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°708 du 1 janvier 2018, avec le titre suivant : Il était deux fois Goscinny à Paris

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